– par Eric Hamelin, Benjamin Hecht, et toute l'équipe de sociologues, urbanistes et experts en concertation et en participation citoyenne de Repérage Urbain
J’ai passé quelques jours en Espagne, à Cambrils une ville balnéaire Catalane de 33 000 habitants au sud de Tarragone pour un stage de cyclisme. Malgré mes origines familiales, cela faisait bien longtemps que je n’étais pas retourné sur les terres espagnoles et ce, malgré l’inspiration que me procurent les espaces publics de ce pays en tant qu’urbaniste.
Voici donc pêle-mêle quelques aménagements urbains qui m’ont tapé dans l’œil au cours de mon séjour :
1 – De l’utilisation astucieuse d’espaces inutilisés pour étendre les usages du vélo :
Lors de mon voyage, j’ai pris au vol quelques nouveaux services dédiés à la petite reine que j’ai trouvés très judicieux :
2 – Les pistes cyclables dans Cambrils: ou comment côtoyer les standards « hollandais »
A Cambrils, la couleur rouge des pistes cyclables est quasi systématique. Ceci permet de bien distinguer la piste et donc, de limiter les conflits d’usage avec les piétons. Le petit plus ? La limite de vitesse indiquée pour signifier que ce ne sont pas des itinéraires sur lesquels on peut aller vite, notamment en vélo à assistance électrique.
3 – Les pistes cyclables aux alentours de Cambrils et dans le delta de l’Ebre
On peut y circuler à vélo, mais aussi à pied en toute sécurité le long de routes départementales ou très routières. Les revêtements sont agréables et clairs, mais surtout, les itinéraires sont continus le long de la route où les voitures roulent parfois beaucoup plus vite .
3 – Extension du domaine de la zone de rencontre : ou dès qu’il y a un centre, il y a zone de rencontre
Que ce soit dans le centre de Cambrils ou dans les villages isolés que j’ai traversé à vélo, j’ai été surpris par le caractère systématique de ce type d’aménagement. Celles-ci laissent toujours la priorité au piéton, le stationnement est interdit et elles sont aménagées à plat, sans trottoir, avec selon les cas, des plantations de végétaux.. Cela permet de laisser de larges espaces de déambulations mais aussi des aménagements conviviaux : bancs, terrasses… qu’il est possible de traverser en voiture si on est riverains ou pour les livraisons bien sûr.
4 – De la démultiplication des places piétonnes : un espace public vivant et apaisé (et apaisant)
Le centre proche du port est composé d’un jeux de places sans voiture – sauf résidents et livraisons – dédiées à la déambulation et aux terrasses. Il s’en dégage une impression de calme, avec des espaces de balades généreux et de nombreuses terrasses.
5 – Des rues aux usages et aux stationnements clairs, à la vitesse limitée :
De façon plus générale, les usages et le stationnement sont bien marqués dans les rues, la vitesse étant parfois limitée jusqu’à 10km/h.
Il y a d’autres points qui m’ont paru très intéressants, comme les aires de jeux pour enfants à tous les coins de rue ou la végétalisation importante des rues, mais cela sera pour un prochain séjour !
Le printemps est souvent propice à la préparation d’actions de type « chantier participatif » , compte-tenu de l’arrivée des beaux jours. L’été dernier, nous avons ainsi eu le plaisir de mener une action de ce type avec les Compagnons Bâtisseurs à Bordeaux, dans le quartier des Aubiers. Voici donc quelques retours d’expérience que nous pouvons tirer de cette première tentative de « cofabrication » de mobiliers urbains sous la houlette des sociologues de Repérage Urbain. Sachant que notre ambition – consubstantielle à notre culture de sociologues de terrain au contact des populations – était d’emmener un certain nombre d’habitant à mettre réellement la main à la pâte (… ou plutôt à la visseuse) dans cette « coconstruction » très concrète. Autrement dit : coconstruire utilement, depuis la conception jusqu’au bout des dernières vis, avec les habitants, contrairement à certains aménagements temporaires d’espaces publics observés ailleurs souvent trop complexes, principalement conçus et construits par des collectifs d’artistes-ébénistes et leurs armadas de bénévoles.
Un chantier participatif au cœur d’un quartier d’habitat très social
Sur cette base, nous avions proposé à la ville et la métropole de Bordeaux (chargée du PRU) de contribuer, par nos démarches participatives, non seulement à l’ajustement du projet définitif, mais également aussi à l’implication des habitants dans un processus de « pré-équipement » de cette prairie, en tenant compte des souhaits réels des riverains.
Un atelier-kermesse avait ainsi été organisé sur une journée, une semaine avant le chantier participatif. Cet atelier avait permis d’identifier des premiers souhaits d’aménagements très « pratiques » : des bancs et des tables à l’ombre. C’est pourquoi il a été choisi de concevoir en priorité ce type de mobilier.
Un chantier co-organisé avec les Compagnons Bâtisseurs
Nous avions, en amont de la kermesse consultative, choisi de sollicité les Compagnons Bâtisseurs pour la mise en oeuvre du chantier participatif , car cette vieille (60 ans) et respectable institution initialement spécialisée dans l’aide à l’auto-réhabilitation – notamment de logements sociaux – nous paraissait être la plus apte à nous envoyer sur le terrain des opérateurs techniques prêts à travailler au contact des populations d’un quartier défavorisée, et dans un esprit de réelle collaboration.
Le chantier participatif s’est donc tenu durant deux semaines, du 27 juin au vendredi 8 juillet, tous les matins de 8h30 à 12h30, sauf les samedis et dimanches.
Le choix de cette période fut contraint par les disponibilités des compagnons bâtisseurs, avant les vacances scolaires de l’été 2022. Cependant, ces créneaux se sont finalement avérés assez opportuns puisqu’ils nous ont permis de capter un public assez diversifié. Bien que le matin était perçu initialement par notre équipe de sociologues (Repérage Urbain) comme un possible handicap, cela n’a finalement pas été un frein à la participation active des habitants, même si celle-ci était plus dense en fin de matinée. Il est à noter que la météo s’est avérée globalement clémente, ce qui a évidement eu un impact positif sur le dispositif.
Nous avions choisi de localiser ces rendez-vous matinaux de fabrication participative de mobiliers de façon visible, sur l’espace public, à proximité du site à enjeu que représente la prairie. La localisation d’une prise électrique a facilité la démarche d’installation des menuisiers-formateurs dépéchés sur place par les Compagnons Bâtisseurs. Tandis que l’emplacement trouvé, assez central à l’échelle du quartier a facilité notre intention « d’aller vers » les habitants, pour les motiver à s’impliquer, au jour-le-jour.
Des démarches d’« aller vers » intensives pour recruter et mobiliser des habitants
Avant le lancement du chantier participatif, un tract-affiche a été réalisé par Repérage Urbain. Celui-ci a fait l’objet d’un boitage et de tractage dans les jours précédents le chantier. Quatre vagues d’envoi de SMS par les bailleurs ont aussi été réalisées. Si ces moyens de communication « traditionnels » ont eu un impact limité, ils ont permis de recueillir quelques inscriptions et de susciter la curiosité des participants ultérieurs. La création de cet « écosystème » de communication, n’est donc pas à négliger : L’information a circulé, les habitants étaient informés. les médiateurs du quartier ont aussi été associés à la préparation de la démarche.
Mais c’est, comme nous l’avions anticipé, la sollicitation directe des habitants par Cécile ou Laëtitia, nos sociologues présentent alternativement lors de chacune des matinées du chantier, qui a joué un rôle central dans la réussite de la mobilisation. Elles sont allées, chaque matin, à la rencontre des habitants sur la voie publique et en pieds d’immeubles, les invitant à venir participer, ou à venir au moins « jeter un œil » . Passé une première phase de curiosité, un groupe de participants récurrents s’est formé, permettant, par effet d’agglutination d’éveiller l’intérêt d’autres participants. Cette mobilisation directe a ainsi permis, en bout de course, l’appropriation de la démarche par une trentaine d’habitants impliqués dans la fabrication des mobiliers. Le rôle de nos deux sociologues étaient aussi de veiller à offrir une place dans la fabrication à chaque nouveau venu, et à faciliter des échanges productifs et de qualité, entre habitants, comme avec les menuisiers-formateurs mobilisés par les Compagnons-bâtisseurs .
Cette démarche menée par nos sociologues de « recrutement direct » d’habitants, d’accueil et d’accompagnement du dialogue s’est avérée bien entendu très complémentaire de l’animation réalisée par les compagnons bâtisseurs, animation qui a permis par moment de mixer des groupes d’âges et de sexe varié et de permettre des échanges entre des participants qui ne seraient pas forcément fréquenté sans ce temps. Nombre de participants ont apprécié de bénéficier d’une relative autonomie dans la réalisation des travaux, tout en bénéficiant des conseils et de l’encadrement des compagnons bâtisseurs. La qualité de l’animation des compagnons permettait notamment de ne laisser personne « inoccupée », notamment les jeunes et donc d’éviter ainsi d’éventuels accidents.
Des mobiliers simples et confortables, en bois de qualité, conçus et améliorés collectivement
Le choix de mobilier s’est porté, compte-tenu des délais, sur 6 bancs et deux tables « simples » car répondant à un besoin immédiat pour profiter de la prairie (pelouse) durant l’été. Des bois plus qualitatifs que la « palette recyclée » ont été initialement fournis par les compagnons, de façon à favoriser la durabilité de premiers mobiliers. La réutilisation quasi-illimitée de la palette dans son domaine d’origine de la manutention (elles peuvent se réutiliser jusqu’à… 28 fois) ne plaident d’ailleurs pas pour un abus de cette ressource dans les démarches d’aménagements temporaires.
La structure des bancs a aussi été renforcée à la suite des remarques de certains participants et l’inclinaison a été modifiée à la suite de « tests » avec les habitants participants.
Des solutions inventées au fil de l’eau, notamment pour contrer certains risques de disparition…
La question de l’accroche s’est posée en début de processus, suite notamment à la disparition « mystérieuse » d’un banc fabriqué le premier jour. Au fur et à mesure du chantier, des solutions ont été proposées, discutées et mises en œuvre de concert avec les acteurs du projet et le noyau d’habitant impliqué. Il a été décidé de ne pas fixer au sol, la solution étant trop compliquée à mettre en œuvre et offrant peu de garantie contre le vol, mais de joindre des bancs et tables entre eux, de façon à créer des « modules » difficilement déplaçables ou escamotables… L’intelligence collective et la relative autonomie du groupe a donc permis de résoudre ce problème initial de risque d’« évaporation » des fabrications communes pour des usages privés non identifiés… D’autres questionnements sont restés en suspens comme la décoration des bancs, faute de temps.
L’autonomie comme vecteur d’appropriation et d’ajustement de la démarche au fil de l’eau
Très vite durant le chantier, des idées de mobiliers différents ont été proposé par des habitants et des acteurs associatifs. A cet effet, des palettes ont été récupérées et stockées à la maison du projet. Peu à peu, un « pacte » s’est lié avec les participants : finir les bancs bénéficiant au plus grand nombre, puis réaliser des mobiliers discutés de concert avec les participants ou proposés par des acteurs associatifs. Ce pacte a permis de réaliser plusieurs bancs et tables supplémentaires, positionnés dans d’autres lieux que la prairie. Des bancs en palette ont été réalisé à proximité de la pharmacie pour les personnes âgées, une table a été fabriqué par les enfants du centre d’animation pour la ferme urbaine, un banc supplémentaire a été positionné sur la prairie. D’autres mobiliers cependant n’ont cependant pas pu être réalisés dans le temps imparti, comme la boîte à idée imaginée par le groupe.
Le fait d’avoir fixer un objectif simple (6 bancs et 2
tables), et d’avoir laissé de l’autonomie au groupe dans le choix d’autres
mobiliers s’est avéré un bon levier pour permettre aux participants de
s’approprier la démarche, mais aussi de faire en sorte que les habitants
viennent mettre la « main à la patte ». Cette façon de faire a sans
doute également jouer un rôle dans le fait que peu de mobiliers furent dégradé
dans les semaines qui ont suivi leur positionnement sur la prairie.
Enfin, des participants sont venus par exemple couper une
planche, demander conseil pour des travaux personnels, ils ont été bien sûr
accueillis et invités à participer au chantier collectif. Cet « échange de
bons procédés » a été apprécié par les participants.
Un temps convivial a été mis sur pied à la fin du chantier, lors du positionnement des mobiliers sur la prairie (pelouse). Des panneaux d’informations sur la genèse de la démarche, ses objectifs et sur le projet à venir sur la prairie ont été apposés sur les mobiliers fabriqués. Une mention évoquant l’implication des habitants du quartier a été inscrite sur les bancs et tables réalisées. Invitation a été faite aux habitants de donner leur avis à la maison du projet sur les mobiliers réalisés lors de ce chantier . Une valorisation plus importante pourrait être imaginée pour d’autres démarches de ce type, avec inauguration par les élus, interventions d’artistes. Certains habitants ont même souhaité apporter café, gâteaux, pour marquer le coup, bien qu’une petite collation fût mise sur pied dans les jours précédent la fin du chantier.
8 mois après, les bancs et les tables sont toujours là, et
utilisés par les habitants. Un banc cassé a même été réparé, signe de
l’appropriation effective de ce mobilier par les habitants du quartier.
Cela fait quelques années que je pratique le cyclotourisme, et cet été, j’ai mis le cap vers les Pays-Bas pour rouler une dizaine de jours avec un ami. Pour un urbaniste comme moi, cette destination n’a rien d’anodine : il s’agit bien sûr du pays du vélo et c’est avec une certaine curiosité sur ce sujet que j’ai entamé ce petit voyage. Au pays des moulins à vent et du gouda, nous avons donc utilisé les vélos-routes touristiques, traversé des villes de toutes tailles (Middelburg, La Haye, Alkmaar, Amsterdam…), mais aussi parcouru des chemins de traverse, peu ou pas touristiques.
Mais avant cela, quelques chiffres pour commencer, afin de comparer brièvement la pratique du vélo en France et aux Pays-Bas :
Population en nombre d’habitants :
Pays-Bas : 17,7 millions
France : 67 millions
Superficie :
Pays-Bas : 41 500 km²
France : 644 000 km²
Quelques observations basiques : on parle d’un pays 3,5 fois moins peuplé que la France et environ 15 fois moins grand. Ce point est important car cela renvoie à la question de la densité : les Pays-Bas ont une densité par habitants 4 fois plus grande que la France avec 488 habitants par km² alors qu’en France, la densité moyenne est de 117 habitants par km².
Part modale du vélo en pourcentage du nombre de déplacement selon la Commission Européenne (2002) – ces chiffres commencent à dater un peu :
27% aux Pays-Bas
3% en France
Autres chiffres tirés du magazine « Holland Bikes » : un néerlandais parcourt en moyenne 909 km par an à vélo, contre une moyenne de 87 km pour un français. Là encore, la physionomie du pays n’y est pas étrangère : selon diverses études, le vélo est surtout utilisé pour des déplacements de courte distance (moins de 2 km). La taille compacte des villes, associée à un système de transport performant (45% des déplacements se font en transport en commun aux Pays-Bas, contre 15% en France) rend le vélo attractif pour rouler jusqu’au travail, ou aller à la gare prendre un train pour s’y rendre. Et cela, au détriment de la voiture.
Le vélo aux Pays-Bas : des aménagements qui font la différence,
partout
Contrairement aux idées reçues, le pays a beau être plat, la présence des moulins n’est pas liée au hasard. Et à vélo, quand il y a du vent, c’est assez pénible, n’importe quel cycliste pourra en témoigner. Cependant, la qualité des aménagements a beaucoup joué : « l’expérience » cycliste a été excellente le long des 350 km que j’ai pu parcourir.
Voici quelques observations que j’ai pu faire au cours de mes balades sur les aménagements que j’ai pu apercevoir, et il y a sans doute beaucoup de choses que je n’ai pas vues ou perçues :
La brique, un revêtement simple, basique :
Alors qu’en France, nous sommes habitués aux pavés et à l’enrobé, aux Pays-Bas, la plupart des rues et des routes sont constituées de briques.
Pour démarquer tel ou tel types d’espace (voiture, vélo, piéton…), les briques sont simplement disposées de façon différentes, en fonction de la vitesse autorisée.
Ce revêtement a de mon point de vue plusieurs qualités :
Facilité d’entretien (je présume)
Couleur agréable, rouge brique donc
Confort pour rouler Mais surtout : lisibilité des espaces au premier coup d’œil
La variété des types de pistes et de voies cyclables, ou rouler sans jamais se sentir en danger :
Aux Pays-Bas, j’ai pu rouler très souvent sur des pistes cyclables séparées de la circulation automobile. C’est particulièrement vrai dans des zones rurales ou péri-urbaines : le long de chaque route intercommunale, on trouve une piste cyclable disjointe de la circulation automobile. Et on croise régulièrement des hollandais pour les emprunter : enfants, jeunes adolescents, personnes âgées, des groupes d’amis, des touristes, des actifs etc.
Il existe aussi de nombreuses bandes cyclables, les contres-sens à vélo sont généralisés dans les grandes villes. Les aménagements vélo offrent une grande qualité d’usage : le marquage est clair, comme par exemple les sas vélo, le traitement d’intersections, ou les circulations sur les ronds-points.
Les routes touristiques (LF1 Kustroute) sont souvent très agréables à arpenter, avec des itinéraires complètement coupés de la circulation, sauf en ville naturellement. Cela permet aussi d’arpenter des endroits plus anodins, tels que des quartiers résidentiels étonnants, de grands espaces de logistique portuaire ou des zones d’activités. En somme, des lieux du quotidien qui ne sont naturellement pas référencés dans les itinéraires touristiques classiques, mais qui permettent de percevoir un peu la réalité des territoires traversés.
La signalétique, un confort utile pour se déplacer :
J’ai souvent fait du cyclotourisme et du vélo en France. Mon constat : les itinéraires le long de ces voies vélos touristiques sont dans l’ensemble plutôt bien équipés en termes de signalétique. Mais pour le reste du réseau cyclable, cela n’allait pas de soi. Mais aux Pays-Bas, j’ai été étonné de constater que toutes les pistes cyclables ont un numéro. Comme nos routes départementales et nationales en somme. Et cela s’avère très pratique, surtout quand on décide de se passer un peu de son GPS.
Autre aspect étonnant : le balisage. On trouve très fréquemment des petites bornes indiquant le nombre de kilomètres et la direction de la prochaine ville. C’est assez appréciable pour se repérer et évaluer les distances. Comme quand on se déplace en voiture. C’est un confort qui ne coûte pas cher, mais qui me parait très incitatif quand on roule : on peut facilement évaluer la distance parcourue par rapport à son effort, projeter son parcours etc. Des panneaux de ce type existent bien en France, mais apparaissent de façon moins fréquente.
Une intermodalité qui est assurée :
C’est frappant, les parvis des gares sont littéralement remplis de vélos. Mais l’usage facilité du vélo pour utiliser d’autres modes de transport ne s’arrête pas là. J’ai remarqué la présence quasi systématique d’arceaux vélos à côté d’arrêts de bus, et parfois même en pleine campagne.
On trouve aussi de nombreux magasins de location de vélo, disposés par exemple à l’embarcadère des bateaux. Les bateaux eux-mêmes sont pensés pour intégrer avec une facilité déconcertante le vélo. Sur les bateaux que j’ai pu emprunter, on entre littéralement à bord du bateau sur la petite reine !
Pour conclure ce petit tour d’horizon, la façon de penser la mobilité qui m’a le plus intéressé est lié à la façon dont les différents espaces sont gérés en fonction de la vitesse.
A la base, il y a le piéton. Et certaines zones sont interdites au vélo : il s’agit d’ensembles de rues commerçantes dans les centres-villes, comme j’ai pu le voir à Middelbourg (48 000 habitants), dans la ville balnéaire de Noordwijk aan Zee (25 000 habitants), ou dans des rues commerçantes d’Amsterdam (Kalverstraat). J’ai remarqué quelques zones de rencontres, où la vitesse maximum est souvent de 20km/h.
Les vélos et les scooters sont logés à la même enseigne : les scooters sont bridés, pas plus de 30km/h selon mon évaluation (en réalité, pour circuler sur une piste cyclable, l’engin doit être bridé à 25 km/h). On trouve donc sur les pistes cyclables des vélos de courses, des vélos à assistance électrique, des trottinettes, des scooters donc, mais aussi de petites voitures. Autre point important, l’accessibilité : on croise aussi de nombreuses personnes en situation de handicap sur des scooters électriques, et parfois même au beau milieu d’un parc naturel !
Les routes automobiles, avec des vitesses adaptées selon le type de voies, avec les motos.
Cette logique d’aménagement me semble intéressante : dans mon quotidien professionnel, je me retrouve souvent face à ce que l’on appelle des conflits d’usages entre différents moyens de déplacements : conflits entre piétons et cyclistes dans les zones urbaines denses, conflits entre cyclistes et voitures le long de routes de campagnes, conflits entre trottinettes électriques et piétons, entre trottinettes électriques et vélos, entre vélos et scooters etc. Même si cela est déjà en partie le cas en France, ces quelques jours m’ont convaincu de sanctuariser certains espaces pour les piétons, mais aussi de penser des pistes cyclables comme des voies de « micro-mobilités » avec une régulation de la fréquentation de ces voies par des vitesses maximales autorisées. Pourquoi pas même aller jusqu’à définir des vitesses plus élevées sur des voies cyclables rurales ou périurbaine avec un maximum de 40 km/h et une vitesse de 20 km/h pour les zones urbaines denses ? A l’heure où les vélos à assistance électrique et autres « speedbikes » voient leur nombre de ventes augmenter, repenser l’usage et la façon de réguler les usages des pistes cyclables et autre « corona-pistes » me parait important si l’on veut vraiment favoriser le développement du vélo et d’autres modes de déplacements moins polluants, par rapport à notre utilisation intensive de l’automobile.
Le vélo aux Pays-Bas, pas une histoire de géographie, mais une histoire
politique :
Nous voilà arrivés à Amsterdam pour quelques jours. L’occasion de visiter la ville et d’en savoir plus sur cette « passion » néerlandaise. J’ai donc pris le temps d’effectuer quelques recherches, et j’ai notamment lu avec beaucoup d’intérêt les travaux de Frédéric Héran. Beaucoup d’analyses et de constats viennent de son article intitulé « pourquoi tant de cyclistes aux Pays-Bas », question qui se pose naturellement. Je vous recommande donc la lecture de cet article très complet et passionnant à bien des égards.
Dans son article, Frédéric Héran explique que le « vélo moderne est techniquement au point en 1891 ». En France, le premier tour de France a lieu en 1903 alors que les cyclistes qui préfèrent voyager fondent le « Touring Club de France » en 1890. Je ne vais pas développer l’histoire passionnante de cette association dissoute en 1983, mais elle jouera un rôle majeur dans le développement du tourisme en France au XXème siècle. Cependant, la culture du vélo « sportif » au travers de l’organisation de courses restera très prédominante.
Aux Pays-Bas, comme le dit Frédéric Héran, le
« vélo-découverte est d’emblée plébiscité », et sera un moyen de
« promouvoir leur nation » face au pangermanisme tout en permettant
aux Néerlandais de découvrir leur pays et d’affirmer leur culture, au point que
la reine Wilhelmine se passionne pour le vélo. L’expression « la petite
reine » pour qualifier le vélo vient de là. Mais comme le souligne
l’auteur de l’article, le vélo sera le moyen pour le politique de s’afficher
comme proche du peuple.
Ce petit bout d’histoire m’interroge. Je pratique donc un mode de tourisme qui existe depuis la fin du XIXème siècle. Donc plus ancien que l’automobile et que l’avion bien sûr. Face à la crise climatique, économique, sociétale que nous traversons, face aux souhaits insistants de relocalisation, ne faudrait-il pas remettre au goût du jour le voyage à vélo comme levier de développement du tourisme en Europe ? Des eurovélos routes existent : 90 000 kilomètres, c’est une chance et elles sont bien balisées et numérotées. Concernant la France, elle est rien de moins que la destination préférée des cyclistes européens. Cela est sans doute une chance et un levier de redéveloppement urgent à saisir.
Pour poursuivre l’histoire du vélo dans ce pays, Frédéric Héran mentionne le fait que pendant la première guerre mondiale, le pays s’est retrouvé privé d’essence. Des « pistes cyclables touristiques » sont créées de toute urgence et le pays se voit obligé de créer sa propre industrie du cycle. Le pays a alors redécouvert l’intérêt du vélo. Vu de France, aujourd’hui, un mot vient d’émerger dans notre vocabulaire : les « corona-pistes ». Je n’en ai pas vu aux Pays-Bas. Mais à travers les âges, le vélo apparaît comme une solution face aux crises. De là, une interrogation : quel avenir pour nos corona-pistes ? Préfigureront-elles un futur réseau vélo plus dense dans nos villes, sont-elles au contraire vouées à disparaître ? À mon sens, la qualité de l’aménagement a un rôle à jouer pour permettre un usage plus intensif du vélo et d’autres modes de déplacements alternatifs à la voiture.
Un autre argument en faveur des pistes cyclables séparées de la circulation automobile émerge aux Pays-Bas dans les années 30. Et cet argument ne venait pas des cyclistes…mais des automobilistes : ceux-ci trouvaient les cyclistes encombrants sur la chaussée. Dès 1938, les principales routes seront équipées de pistes cyclables séparées de la circulation automobile. En France, ce n’est malheureusement pas le cas, et il n’est pas confortable de faire du vélo le long d’une départementale. C’est même souvent dangereux et désagréable, ce qui n’incite pas à la pratique du vélo, même pour de courtes distances. Si bien que nous dépendons de la voiture pour amener les enfants faire du foot dans la commune voisine ou pour aller des faire des courses, alors même que parfois les distances entre ces différents lieux sont peu importantes. Et cela pose problème dans un certain nombre de territoires, par exemple pour des personnes âgées (selon l’INSEE, 25% de la population a plus de 65 ans en 2018) qui ne peuvent aller faire des courses autrement qu’en voiture ou pour des jeunes (25% de la population a moins de 20 ans) qui aspirent à un peu d’autonomie.
La voiture justement débarque massivement aux Pays-Bas dans les années 50 et, comme l’évoque Frédéric Héran, jusqu’au milieu des années 70, « la pratique de la bicyclette est divisée par 2,7 au Pays-Bas » alors qu’elle est divisée par 6 en France. Et c’est justement durant les années 60 qu’une contestation voit le jour à Amsterdam, menée par le mouvement politique et artistique « PROVO ». Ceux-ci vont défrayer la chronique en mettant en œuvre un « plan blanc » : pour supprimer la circulation automobile génératrice d’accidents, ils fournissent des bicyclettes blanches gratuitement. L’opération connait un succès mitigé mais elle instillera l’idée « d’oser limiter la circulation automobile » dans la conscience collective. Fin 1973, avec la multiplication par 4 des prix du pétrole, la population « prend conscience de la nécessité de développer les modes alternatifs à l’automobile ».
En France, certaines villes ont suivi des voies différentes au « tout automobile », de façon plus mesurées toutefois. Je pense à Michel Crépeau à la Rochelle qui développa le vélo dès les années 70 et qui en fit une ville pionnière en la matière. Mais l’idée de limiter la circulation automobile me parait que très récente en France. La crise des gilets jaunes a débuté avec l’instauration d’une écotaxe sur les carburants. La crise de la mobilité s’est alors transformée en crise politique. En 2018, le premier ministre français annonce la mise en œuvre d’un « plan vélo et mobilités actives » ayant pour objectif de faire passer de 3 à 9 % la part modale du vélo dans les déplacements du quotidien d’ici 2024. Ce budget a été triplé en 2020 face à la crise sanitaire et dans la continuité des préconisations formulées par la convention citoyenne pour le climat.
Conclusion :
Ces courtes vacances dans le pays le plus cycliste d’Europe
m’amène à penser que la pratique du vélo n’est pas liée à des facteurs
climatiques ou géographiques, mais est le résultat d’une histoire et d’une
construction politique. Un facteur « facilitateur » me parait
cependant déterminant : ce pays est plus dense que la France et a limité
son étalement urbain.
Depuis quelques années, je participe à des études et j’anime
des concertations dans toute la France, sur tout type de territoires
(métropoles, villes moyennes, territoires ruraux…). Les aménagements liés au
vélo reviennent systématiquement en tête des souhaits évoqués par les
participants.
A l’heure où le plan vélo doit permettre aux collectivités territoriales de construire des stratégies et des aménagements dédiés aux mobilités actives, et alors que les élus municipaux entament la première année de leur mandat, les conditions n’ont jamais été aussi propices pour transformer en profondeur nos villes et nos territoires, à commencer par nos plans de circulations. Face à la crise écologique et sanitaire, l’occasion serait trop belle pour ne pas s’en saisir.
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