– par Eric Hamelin, Benjamin Hecht, et toute l'équipe de sociologues, urbanistes et experts en concertation et en participation citoyenne de Repérage Urbain
Il y a ces derniers temps une tendance que notre agence rencontre de plus en plus souvent, du côté des villes et collectivités souhaitant concerter sur tel ou tel projet avec ses habitants : la « tentation du petit panel ». C’est à dire la tentation de mobiliser un « groupe réduit de citoyens », souvent très réduit (5 ou 10 personnes à l’échelle d’un quartier, 10 ou 15 ou 20 personnes à l’échelle d’une ville ou d’une agglomération) plutôt que d’ouvrir le débat largement et à toute la population de façon volontariste.
Il y a pourtant plusieurs types de raisons de dissuader les pouvoirs locaux d’avoir recours à des « panels citoyens » réduits et fermés pour tenter de résoudre des dilemmes d’aménagement. Voici 8 raisons cumulatives pour lesquelles, selon moi, s’en remettre à un groupe de 10 ou 15 habitants pour chercher des compromis ou valider des choix d’aménagements est tout simplement une mauvaise idée :
1. Mathématico-statistique : un tel panel est bien trop réduit pour être représentatif de la variété des profils et postures d’une population variée. Notez bien que cela reste valable sur le plan statistique quelle que soit la taille de la population globale concernée par le projet (quartier, ville, agglomération… sauf quartier limité à une poignée de logements). La pratique et la statistique plaideraient donc pour un échantillon minimal d’au moins 100 personnes dans ce type de projet et de territoire… Taille de panel qu’il est naturellement impossible à mobiliser de façon répétée. Ce qui démontre d’ailleurs en retour qu’un panel de petite taille a toutes les chances d’être biaisé dans sa composition, puisqu’il tendra à filtrer des personnalités nettement plus mobilisables ou motivées que la moyenne des populations qu’il est censé représenter (voir aussi point 7 plus bas).
2. Stratégique (au sens de l’intérêt politique de la collectivité) : La mobilisation d’un « panel » n’est pratiquement jamais reconnue par une population élargie comme étant une démarche valable de démocratie participative, de concertation ou d’écoute. Nos retours d’expériences sont innombrables là-dessus (avec des « conseils citoyens » des « conseils de quartiers » et autres « panels citoyens » réduits, très souvent délégitimés par le reste de la population). Par conséquent, pour obtenir l’adhésion d’une large population, il vaut mieux lui laisser le « droit à la parole » de la façon la plus ouverte et la plus large possible, tout au long du processus.
3. Juridique : Un panel de « 10-15 personnes », s’il était au centre des principales démarches de concertation mises en œuvre, ne saurait en aucun cas répondre aux obligations légales, notamment en réponse aux exigences soulignées dans l’article L103-2 du code de l’urbanisme, puisque cet article souligne la nécessité d’associer « les habitants, les associations concernées et les autres personnes concernées pendant toute la durée du projet ».
4. Méthodologique : La « tentation du panel » répond vraisemblablement, dans la plupart des cas, à une idée (erronée d’après mon raisonnement) selon laquelle, en travaillant en petit groupe avec différents profils d’habitants/usagers on va pouvoir, plus facilement et dans un dialogue apaisé, dégager les « bons compromis » ou valider des « options consensuelles » qui conviendront ensuite au plus grand nombre. C’est faux. Notamment pour la raison 1 : Le panel est par constitution forcément biaisé ; mais aussi pour la raison 2 : le choix validé par un micro-panel a toutes les chances d’être contesté par des groupes de populations ne se sentant pas représentées du tout par celui-ci ; et encore 3 : la légitimité de l’écoute disproportionnée accordée à un tel micro-panel étant plus que contestable, les recours juridiques peuvent tenter n’importe quels types d’insatisfaits ensuite.
5. Démocratique en lien avec le « droit à la parole » : Par suite du point ci-dessus, on devrait également prendre conscience que toute tentative de restreindre l’écoute à un groupe « fermé » d’habitants constitue, par extension, une restriction du droit à l’expression du reste de la population. Par conséquent, la focalisation sur un panel délimité, indépendamment des questions de représentativité, est une négation du « droit à la parole » de l’ensemble des citoyens sur un projet qui les concerne. Droit à la parole, pour tous, qui me parait pourtant la base de toute notion de « démocratie participative » et de « concertation publique » (y compris telle qu’inscrite dans le droit de l’urbanisme, voir point 3).
6. Démocratique (bis) avec un « effet doublon » : L’idée d’un « panel représentatif », bien délimité, appelé à s’exprimer aux différentes étapes de l’élaboration d’un projet, ça ne vous rappelle rien ? Hé oui, ça peut rappeler, au choix : les conseils de quartier (obligatoires dans les communes de plus de 50 000 habitants), le conseil citoyen (obligatoire autour des projets financés par l’ANRU et dans les quartiers défavorisés dit « politiques de la ville »), le conseil d’arrondissement ou… le conseil municipal ! Bref, un « panel limité de citoyens mobilisés sur la durée » (formulation que j’ai pu lire quasi telle quelle dans des dossiers d’appel d’offres pour des démarches de concertation), est finalement une sorte de calque du modèle « représentatif » de la démocratie. L’idée semble répondre à l’espoir, pour certains élus ou techniciens de collectivités, de retrouver un modèle de débat qu’ils connaissent bien et comprennent mieux, plutôt que de soumettre un projet à un débat avec les masses, processus parfois vu comme hasardeux voire effrayant. Bref, le « panel limité de citoyens » fait généralement doublon avec des instances représentatives existantes, et c’est tout sauf de la « concertation publique ».
7. Méthodologique (bis) avec un « biais de mécontentement » : Un « panel d’habitants » risque tout d’abord de reproduire les mêmes difficultés de motivations que les instances bénévoles évoquées ci-dessus : Il est très difficile de mobiliser des personnes sélectionnées au hasard, de façon prolongée. Certaines instances s’avèrent même tout à fait impossibles à maintenir en fonctionnement, par défection progressive des participants, comme l’ont montré notamment les nombreuses déconvenues rencontrées par les conseils citoyens (voir point précédent). Par ailleurs, si un panel se maintient dans la durée, sur une base purement bénévole, il y a de forts risques que les seules catégories d’individus qui acceptent d’y participer soient motivées avant tout par une certaine hostilité ou opposition : hostilité vis-à-vis d’un projet dans une optique « pas près de chez moi » (ou NIMBY) ; ou esprit d’opposition à une municipalité en place. Ainsi, la composition d’un panel bénévole a de fortes chancesde subir subrepticement ce que j’appellerais le « biais de mécontentement » … c’est à dire que seuls des individus potentiellement dérangés par une hypothèse d’aménagement urbain finissent par accepter, en bout de course, de s’engager dans un processus de participation répétée. Quand bien même ils représenteraient des tranches d’âges et des profils socio-professionnels variés.
8. Economique : Enfin, n’oublions pas que ces concepts de « groupes réduits de citoyens » sont manifestement inspirés de méthodes d’études marketing. On pense notamment à la technique des focus group, qui réunit un petit groupe de consommateurs autour de nouveaux produits ou de nouvelles campagnes publicitaires, afin d’étudier leurs réactions collectives. Il faut donc avoir conscience que ces méthodes sont, à la base, essentiellement conçues pour vous faire avaler des yaourts… Et pas pour vous permettre de donner votre avis ou participer à l’élaboration d’un projet d’intérêt collectif.
Quelques conclusions …
En conséquence de ces différentes réflexions, selon moi, toutes méthodes de consultation massive et large de la population, à l’opposé de la dimension frileuse du « micro-panel », donneront vraisemblablement des éléments d’aide à la décision et des pistes de compromis nettement plus acceptables par la masse des citoyens ensuite, même si elles restent moins détaillées qu’un projet « co-conçu » avec précision avec 10 personnes. Des pistes de décision issues d’un minuscule échantillon de population, quand bien même ce dernier aurait travaillé de façon très approfondie et répétée pour exprimer une position commune, ne peuvent en aucun cas garantir ni la représentativité, ni l’acceptabilité par la population dans son ensemble.
Pour peu que l’on sache et que l’on se donne la peine de traiter avec sérieux et rigueur une masse d’avis et d’opinions que l’on collecte (avec des traitements à la fois qualitatifs et quantitatifs, des analyses sémantiques, thématiques, etc.), ET pour peu que l’on communique clairement à la masse les conclusions de cette consultation de masse, cela peut permettre, le plus souvent d’assoir plus confortablement la légitimité de choix d’aménagements pris au regard de ces données. C’est en tout cas, pour notre part, ce que nos retours d’expériences prouvent assez largement, avec de nombreux retours favorables des populations, quand nous les impliquons dans nos consultations et démarches participatives massives, restant ouvertes à tous quoi qu’il en coûte… Il ne me parait donc y avoir aucune raison sérieuse de « fermer » des débats au sein d’un groupe réduit d’individus, pour des projets concernant tout un chacun dans son cadre de vie de proximité, dans sa vie quotidienne, voire dans ses intérêts immobiliers directs (cas des « riverains » d’un projet, dont aucun ne peut être exclu des discussions par avance, sans pour autant qu’ils ne soient les seuls à être légitimes en fonction de l’enjeu).
… Et une comparaison
En revanche, je ne prolongerai pas outre mesure cette réflexion à une autre échelle, et sur d’autres matières que celle des projets urbains. L’exemple de la « convention citoyenne pour le climat », avec un « panel » de citoyens nettement plus important que ceux que j’évoque ici, a sans doute apporté, à la fois, de l’eau à mon moulin « sceptique » quant aux panels restreints de citoyens, et des arguments aux partisans des « jurys citoyens » à tout va.
Parmi les défauts de la démarche, la taille d’échantillon était nettement insuffisante à mon sens, eu égard à la diversité des populations à l’échelle nationale, et je soutenais plutôt, à l’époque du « Grand débat national », des « forums citoyens » qui auraient regroupé au moins 1500 personnes nationalement, et représenté de façon équitable les différentes régions, départements et types de territoire concernés par les problématiques environnementales, ces dernières étant très souvent imbriquées dans des questions territoriales. Au minimum, on peut se demander pourquoi cette convention citoyenne n’a réuni que 150 personnes, alors que l’Assemblée Nationale, par exemple, compte déjà presque quatre fois plus de membres pour « représenter » le même territoire. Par ailleurs, il y a vraisemblablement eu quelques « filtres » ou « biais » involontaires dans le processus de recrutement. Cela fait que, au delà du nombre de participants, on peut douter de la parfaite représentativité des participants, notamment en termes d’opinions politiques. Cependant ici les participants étaient « défrayés », c’est à dire en réalité rémunérés. Ce qui permet en partie de répondre à l’écueil n°7 évoqué plus haut, celui de la motivation à participer.
Côté points positifs de la démarche, elle a pu démontrer qu’il était possible de produire une forme d’intelligence collective avec un nombre de personne déjà relativement élevé. Elle a aussi montré, contrairement à ce que croient nombre de militants insuffisamment attentifs, qu’une telle démarche collective pouvait inspirer de façon constructive un grand nombre d’évolutions législatives. Certes les suggestions de la convention n’ont pas été appliquées « sans filtre » , comme l’avait dans un premier temps annoncé E. Macron. Mais cet objectif affiché initialement était sans doute déraisonnable, et certainement moins démocratique qu’un processus itératif remontant par étape d’une démarche « participative » vers un processus législatif plus classique, laissant la main pour finir à l’Assemblée Nationale.
Quoi qu’il en soit, une telle convention n’est donc pas de la même dimension ni de la même nature que les minuscules « panels d’habitants » locaux que j’évoque plus haut.
Croyez-vous en un futur où les piétons seraient redevenus, jusque dans les faubourg les plus excentrés ou les villes les plus petites, plus nombreux que les automobiles ? Et si cette vision du futur, bien plus réjouissante finalement que celle de villes envahies de drones-taxis, advenait plus vite et plus fortement que n’auraient osé l’imaginer les plus optimistes des urbanistes favorables à la ville « marchable » ?
Une révolution silencieuse est en marche depuis quelques temps dans l’univers du piéton. Il s’agit de la démocratisation du podomètre. Nul besoin de montres connectées. Désormais intégrés en configuration de base à la plupart des téléphones mobiles au travers d’applis « Santé » telles que Samsung Health ou Google Fit, ou encore téléchargeables en trois clics sur les magasins d’applications, les podomètres se sont discrètement introduits dans la poche ou le sac de tout un chacun, parfois à votre insu. Générant une « motivation à marcher » potentielle, liée au maintien de votre capital santé.
Plus exactement, le moteur d’un renouveau de la marche pourrait être la simultanéité entre l’arrivée de cette innovation dans la poche de presque tous, avec celle désormais largement généralisée de l’usage des applis cartographiques de calcul d’itinéraire, de GoogleMaps à CityMapper en passant par OpenStreetMap, le tout s’additionnant avec les incitations de santé publique à effectuer au moins « 6 000 pas par jours » ou « 10 000 pas par jours » selon les sources.
La marche : meilleur plan pour vous assurer un minimum de capital santé
Chacun connait, désormais, les recommandations d’exercice physique minimal quotidien émises par l’OMS, ou en a au moins entendu parler. Parmi les différentes recommandations, celle de marcher « au moins 10 000 pas par jour » . Même si son attribution à l’OMS parait en partie apocryphe et remonte plus certainement au créateur japonais d’un podomètre dans les années 1960, elle est sans doute celle qui a le plus marqué les esprits par sa simplicité de mémorisation, son chiffre rond, mais aussi par son apparente simplicité de mise en oeuvre : aucun équipement ni terrain particulier n’est nécessaire pour cette pratique physique… hormis le podomètre que nous avons tous désormais dans notre poche.
Ces avantages s’additionnent au fait que la plupart des gens marchent déjà beaucoup sans s’en rendre compte, parfois simplement par le cumul de petites activités quotidiennes, en faisant le ménage, en allant rejoindre un tram ou un métro, en allant chez le boulanger ou en effectuant d’autres courses de proximité, en se déplaçant d’une pièce à l’autre dans leur entreprise ou chez eux, ou même en faisant les 100 pas dans une seule pièce téléphone à la main. Même si ce n’est pas forcément l’idéal médical puisque des « séquences d’exercice » d’une durée minimale sont parfois recommandées, c’est « mieux que rien » comme on aurait dit en 2020 à propos de certains équipements de santé de fortune… Faîtes le test, si vous n’êtes pas travailleur sédentaire et que vous prenez les transports en commun, en gardant votre téléphone sur vous absolument toute la journée avec un podomètre activé en arrière-plan, vous avez toutes les chances de dépasser les 6000 pas par jour sans le savoir…
Ainsi, parmi les différentes possibilités d’exercice physique quotidien, la marche semble bien tenir la corde du « meilleur plan pour vous assurez facilement un minimum de capital santé ».
10 000 pas par jour, ça peut vous emmener loin...
Je ne suis pas sûr que beaucoup de citadins prennent ainsi bien la mesure des distances qu’ils franchissent régulièrement à pieds. 6000 pas, et à plus forte raison 10 000 pas par jour, c’est assez énorme, en termes de distance parcourue. A ce niveau, on devrait considérer la « marche-santé » comme un véritable mode de transports d’échelle urbaine.
Pour illustration, parmi ceux qui tiennent l’objectif de 10 000 pas par jour, leur podomètre leur apprendra que cela correspond à une distance parcourue d’environ 8 km. Soit l’équivalent, par exemple à Paris, d’un aller puis d’un retour de la place du Châtelet jusqu’à l’Arc de Triomphe. Une marche qui équivaut à franchir 16 stations de métro. Ou encore à un aller simple depuis la Gare Montparnasse jusqu’au Parc de la Villette !
A l’échelle d’une métropole régionale, il vous faudrait par exemple vous rendre à pieds depuis le campus de l’Université de Bordeaux à Pessac au sud-est de l’agglomération, jusqu’à la vaste Esplanade des Quinconces au nord du centre-ville de Bordeaux , soit l’équivalent de 17 stations du tram bordelais.
Bien sûr, très peu de gens réalisent de tels trajets d’une seule traite quotidiennement, hors circonstances exceptionnelles telles que les grandes grèves. Néanmoins, un certain nombre de citadins tiennent aujourd’hui leur moyenne de 6000 ou 10 000 pas quotidiens, sur la journée ou en moyenne sur la semaine, en cumulant trajets utilitaires multiples (courses diverses, rendez-vous, allers-retours au travail incluant les jonctions piétonnes avec les transports publics…) et trajets de loisirs (marche au parc ou le long d’un cour d’eau le weekend, déambulation dans des secteurs commerçants…).
Quoi qu’il en soit, l’idée à en retenir me semble être que, si l’on veut atteindre 6, 8 ou 10 000 pas par jour, on a intérêt à marcher beaucoup et donc à choisir la marche « contre » d’autres modes (voiture, trottinette électrique, transports publics…) dans beaucoup de circonstances, au cours d’une journée ou de la semaine.
C’est d’ailleurs mon cas la plupart du temps : malgré le fait que mon agence se situe à seulement 15 mètres de dénivelé de mon domicile (mon bureau est au rez-de-chaussée de mon immeuble d’habitation), je m’efforce de multiplier les motifs de marches, en les complétant fréquemment par une « grève personnelle » du métro le weekend. C’est à dire que je marche volontiers d’un bout à l’autre de la ville (à Paris ou ailleurs), et ma motivation est renforcée par l’aspect ludique d’atteindre mon objectif moyen, que j’atteins sans grosses difficultés ni grandes randonnées… Et en voici la preuve incontestable (si vous m’accordez crédit) avec la capture d’écran de mon podomètre personnel (ci-contre), affichant ma « moyenne hebdomadaire de pas quotidiens » des premières semaines d’août, malgré une certaine canicule estivale potentiellement décourageante…
La marche est le mode de transport le plus rapide… plus souvent qu’on ne le croit
Nombre d’usagers des transports publics urbains choisissent également de renoncer à une correspondance de tram ou de métro, et optent pour 800 ou 1200 mètres de plus à pieds, parfois intuitivement, parfois après avoir comparé sur leurs applis de calcul d’itinéraires les avantages (durées) et inconvénients (pénibilité) des deux solutions.
De plus en plus souvent, certains choisissent également de privilégier la marche pour l’ensemble d’un trajet inter-quartier. La décision arrive après s’être rendu compte de la faible différence de durée entre marche et transports en communs sur cet itinéraire. S’y ajoutent éventuellement la conscience d’agir pour leur forme physique et même leur bien être mental, l’avantage de s’éviter la promiscuité des trams, bus ou métro en heure de pointe (sans même parler de la « glauquicité » spécifique des transports souterrains), ou encore la possibilité de jouir du paysage urbain, activité pour laquelle la marche est et restera de toute évidence le meilleur mode de transport.
En termes de durée, il existe une multitude de trajets et de situations dans les grande villes, sur des distances relativement importantes, de l’ordre de 1 à 2,5km, où le choix de la marche peut s’avérer finalement plus rapide que le choix des transports publics. Le vélo restera plus « rapide » mais admettons que vous n’ayez pas de vélo personnel au moment voulu. Dans ce cas même si vous possédez un abonnement à des vélos en libre service, vous pourriez également considérer la marche comme le moyen « le plus rapide », en tenant compte du temps pour trouver un vélo disponible, du risque de ne pas en trouver du tout, du risque de perdre du temps à trouver où le raccrocher…
Pour exemple, voici quelques trajets pour lesquels, à titre personnel, je choisis sans hésiter la marche, même en cas de pluie. En effet, je me munis la plupart du temps d’un parapluie préventif en ville en fonction de ce que m’indiquent… les applis météorologiques (encore une technologie mobile bénéfique au choix de la marche !).
Premier exemple : Si je souhaite me rendre à Paris-Gare du Nord depuis mon bureau au 210 rue Saint Maur (Paris 10ème), GoogleMaps aussi bien que Citymapper m’indiquent un temps de trajet à pieds de 23 minutes pour 1,8km. C’est un rythme de marche assez soutenu, avec une vitesse moyenne estimée de 4,7km/h, intégrant une estimation des obstacles ralentissants, tels que les traversées d’avenues. Mais en réalité (pour l’avoir souvent parcouru) je mettrai pour ma part un peu moins de temps, en tant que marcheur assez véloce, avec une moyenne dépassant généralement les 5km/h, traversées incluses. Si je choisis les transports en commun, les deux applis m’annoncent des temps de trajet oscillant entre 20… et 25mn si je rate le métro le plus rapproché de mon heure de démarrage. Par conséquent, en y ajoutant le bilan agrément/désagrément, mon choix est fait : Je ne prends désormais plus jamais les transports en commun pour me rendre du bureau à la gare du Nord !
Deuxième exemple : comme le savent certains je me rends souvent à Strasbourg. Lors d’un dernier séjour, j’ai été confronté à un choix équivalent à mon exemple parisien, entre deux rendez-vous. De la place de l’Esplanade à la place de la Cathédrale, mon appli carto (Google Maps, Citymapper n’étant pas disponible sur des trajets strasbourgeois) m’indiquait 1,8km de marche pour 24 minutes. Tandis qu’elle me proposait des trajets en tramway oscillant entre 23 et 27 minutes si je tenais compte des temps d’attentes annoncés pour le tram. Encore une fois : pas d’hésitation, la probabilité de rapidité a joué pour la marche. Et mon rythme de marche étant légèrement supérieur aux estimations de l’appli, je suis même assuré de prendre moins de temps à pieds, sur près de 2km ! Après avoir effectué ce trajet, mon choix a pris la tournure d’une option définitive sur cet itinéraire, en y ajoutant l’agrément de traverser les charmants quartiers historiques de la Krutenau et de la Place Saint-Etienne.
Convergences d’incitations à marcher et croissance de la part de marché de la marche
Ces trois incitations plus ou moins concomitantes ces dernières années ont de plus rencontré ces derniers mois deux incitations complémentaires, temporaires mais poussant à ré-expérimenter la marche longue distance en ville pour plus d’un citadin : La période de grève fin 2019, puis la crainte sanitaire pesant sur certains transports publics avec la pandémie de Covid-19.
Ces cinq causes convergentes semblent ainsi avoir pour le moins généré un fort rebond de la pratique piétonne, pour de véritables trajets en ville, alternatifs à d’autres moyens de transports. Et non plus seulement pour flâner, comme semble le démontrer une enquête réalisée par l’entremise d’une des entreprises spécialisée en calculs d’itinéraires Moovit et citée par le Parisien en août 2020.
L’augmentation de la « part de marché » de la marche à pieds était cependant déjà sensible dans les grandes métropoles ces derniers années, comme on pouvait le constater au travers des résultats comparés des dernières enquêtes « ménages déplacements ».
En Ile-de-France (sur la moyenne régionale et non pas uniquement à Paris) elle est le « mode de transport dominant » en 2018 (celui qui est le plus fréquemment mentionné comme mode de transport principal parmi les différents trajets que chacun effectue chaque jour), et la région a connu un accroissement de 9% des déplacements à pied entre deux enquêtes, la précédente datant de 2010.
Pour donner un exemple de grande métropole régionale, évoquons la région de Strasbourg – sachant que la tendance semble la même dans et autour de la plupart des grandes villes. La marche y a connu une croissance de sa « part modale » (équivalent au concept de part de marché ») très conséquente cette dernière décade, aussi bien en ville qu’en périurbain, avec des gains de 7 à 8 points de pourcentage pour la marche (parmi les différents modes de transports et pour l’ensemble des déplacements quotidiens).
Un mode de déplacement pas considéré à la hauteur de son potentiel ?
On pourrait rappeler en complément, pour se convaincre que la marche a de l’avenir, que 99% des citadins marchent. Seuls les nouveaux-nés ne sont pas concernés, si on considère que les handicapés en fauteuil utilisent les mêmes cheminements que les piétons. A un moment ou à un autre de votre journée : vous marchez !
Cependant, il semble que la marche reste relativement peu considérée dans l’ensemble des politiques publiques de mobilités et de déplacements. Les « plans de relance » de l’économie à différentes époques ont volontiers soutenu des infrastructures de transports en commun à coût de millions (et tant mieux!), mais où sont les millions de l’Etat pour soutenir la piétonnisation de centres-villes ou l’élargissement des trottoirs ? On a bien un plan national vélo mais où est le plan marche national ? On a vu se développer massivement des « coronapistes » cyclables mais rares sont les « coronacheminements » ou « coronarues piétonnes » .
Ne serions nous pas victimes sur ce point d’un milieu professionnel, celui de l’aménagement urbain, qui a longtemps été dominé par une culture de la vitesse, de la technique et de l’ingénierie, mais peut-être aussi de la logique pleine d’a priori d’un certain nombre d’urbanistes péremptoires ?
Mettre en équation l’envie de marcher pour qu’elle soit davantage prise au sérieux comme mode de déplacement ?
Il a en effet longtemps été d’usage, dans le milieu des urbanistes et des techniciens des transports publics, de considérer que le rayon d’action de la marche en ville était intrinsèquement limité. Selon les cas on entendait, quand j’étais jeune arrivant dans le milieu de l’urbanisme, que le rayon de pertinence de la marche se limitait à moins d’1 kilomètre, à moins de 600m, voire à moins de 400m. C’est même cette dernière échelle de référence que j’ai sans doute le plus souvent entendue au début des années 2000. Pourtant elle est quasi grotesque, si on la compare aujourd’hui à nos objectifs podométriques, avoisinant les 8km quotidiens !
Cependant l’idée reçue selon laquelle « au-delà de telle ou telle distance les usagers préféreront la voiture » a la vie dure dans le milieu. Elle ne repose pourtant sur rien, aucune étude statistique ni sociologique sérieuse ne venant la soutenir et, pire, se base sur une généralisation parfaitement abusive qui consiste à considérer que « tout le monde a une voiture ». Rappelons pour commencer que 15,9% des ménages ne possèdent aucun véhicule automobile ( Insee 2018), et que parmi les ménages équipés, rares sont ceux qui disposent d’une voiture par personne adulte. Question de coût élevé, de place pour stationner…. ou tout simplement parce que de nombreux foyers comportent de grands enfants et jeunes adultes, indépendants mais sans permis.
De la même manière que nombre d’urbanistes ont cru pendant longtemps à ces préjugés sur le faible rayon d’action de la marche face à la voiture, il ne faudrait pas, à l’heure du grand renouveau des tramways, des bus en sites propres, des grands itinéraires cyclables, qu’un nouveau préjugé équivalent se constitue en faveur de tous ces transports mécanisés, au dépend, à nouveau, de la marche!
A l’heure des applis et des algorithmes, il paraîtrait peut-être plus intéressant d’étudier finement comment les citadins raisonnent et tranchent entre les moyens de déplacements. Comment ils arbitrent, selon les situations, les conditions de vie, les aménagements urbains et les infrastructures, l’envie, le décor, la météo.
Il y a nécessairement, comme toujours en sciences sociales, des déterminants plurifactoriels d’une imbrication abyssale. On peut néanmoins oser un postulat, à la façon des économistes, d’un « calcul implicite » des citadins, qui pourraient plus ou moins se représenter une combinaison simplifiée d’avantages Temps/Effort/Confort/Plaisir/Coût, entre les différentes alternatives de moyens de déplacements.
Retenons cette simplification… et regardons l’impact potentiel de l’avènement du podomètre et des applis de mobilité, de façon concomitante aux injonctions de santé publique, sur l’équation « envie de marcher » en comparaison à d’autres options de mode de déplacement.
Sur le facteur TEMPS : L’effet de révélation des applis de calculs (GoogleMaps et compagnie), que nous avons évoqué plus haut, peut changer l’évaluation de cette donnée chez un certain nombre d’individus, comme nous l’avons vu. L’amélioration progressive de ces applis pourrait rendre encore plus avantageuse la marche sur d’autres modes, lorsque les désavantages des autres modes seront mieux évalués : Temps d’attentes pour les transports publics, attentes aux feux ou encombrements imprévus pour les véhicules individuels.
Sur le facteur EFFORT : L’effort de la marche est, pour une part des invidivus, peu pénible, comparé au vélo par exemple. Surtout, il est ré-évalué à la baisse aujourd’hui, comme nous l’avons vu, par un certain nombre d’individus qui, conscientisant l’effet bénéfique sur leur santé, minorent le sentiment d’effort, ou du moins en tirent un ressenti positif proportionnel. Pourquoi cette tendance n’irait pas croissante ? Quand on observe le nombre croissant d’individus qui, revenant de leurs trajets en métro ou en voiture, filent dans une salle de sport, ou partent courir sur les trottoirs ou dans les bois, on peut penser que la part d’efforts utiles de déplacements par la marche gardent une belle marge de progression.
Sur le facteur CONFORT : Ce facteur reste lourdement dépendant des aménagements urbains et de ce que l’on pourrait intituler les « aménités piétonnes ». Autrement dit, la qualité des cheminements, leur largeur (on aime mieux marcher au large, en général…), leur fluidité (trop de long feux piétons tuent la marche !), leur esthétique aussi (un joli trajet vous fait oublier l’effort ou le temps consommés pour marcher). Mais il parait évident que, malgré la plus grande attention portée par endroit aux itinéraires cyclables, l’amélioration de la marchabilité et l’idée de « plans piétons » progressent.
Sur le facteur PLAISIR : Ce point de l’équation dépend certes du facteur précédent (confort), mais en y ajoutant, par exemple, la possibilité d’apprécier le paysage, l’architecture ou l’animation urbaine, avec une vitesse lente adaptée à cette observation. On pourrait donc parier, ici, que les politiques de verdissement et de végétalisation des villes qui ont le vent en poupe, ainsi que les politiques de maintien ou de renforcement du commerce de proximité, contribueront à renforcer l’avantage de la marche sur ce point. De plus, là encore, la dimension ludique du podomètre et des applis santé, avec leurs objectifs que l’on se fixe de façon quotidienne ou hebdomadaire, peut constituer une source de plaisir, celle d’atteindre ou d’améliorer son score.
Sur le facteur COÛT, enfin : La supériorité totale et définitive de la marche dans cet élément de l’équation parait acquise. Sauf à rendre les transports en commun totalement gratuits (comme à Montpellier) ou à fournir et entretenir des vélos gratuitement. Cependant, même dans ces deux derniers cas de figure, où les coûts sont reportés sur la collectivité donc dans les impôts, la marche est nécessairement, logiquement, définitivement… le mode de transport le moins cher. Une bonne raison de lui maintenir la note maximum dans l’équation.
Ainsi, en guise de conclusion, ce petit conseil à mes amis urbanistes, et autres « urbanologues » de tous poils :
Il serait judicieux, à l’avenir, de ne plus jamais présupposer arbitrairement que la voiture, les transports en commun, ou même le vélo, devraient l’emporter automatiquement sur la marche dans les choix de mode de déplacement, à partir d’une distance déterminée ou pour tel ou tel type de trajet d’échelle urbaine. Arrêtons les généralisations abusives en matière de sciences sociales territoriales. Et redonnons sa juste place à la marche : Celle de moyen de déplacement le plus universel qui soit !
Eric HAMELIN. Sociologue et urbaniste (et désormais blogueur occasionnel).
… Et, pour la science : N’hésitez pas à me raconter en commentaires, ci-dessous, vos propres expériences de modification de vos usages de marche en lien avec les fonctionnalités des téléphones mobiles. Vous nourrirez ainsi nos prochaines réflexions sociologiques et prospectives sur ce sujet !
Interview d’Eric Hamelin et de Benjamin Hecht, par Elise Mathis-Aide (étudiante en Master 2 Science politique – Affaires Publiques, Ingénierie de la Concertation, à Paris 1 Panthéon – Sorbonne).
(Cette interview a été réalisée avant le confinement du printemps 2020. Le second tour des élections municipales ayant été retardé de trois mois, la démarche se poursuit à titre expérimental jusqu’à l’automne).
« Partir d’un petit bout de trottoir pour élever le débat », c’est ainsi que Eric Hamelin, sociologue urbaniste, décrit l’ambition de la démarche participative Debatomap 2020 dont son bureau d’étude Repérage Urbain est à l’origine, et qui a été déployée début 2020 sur sept agglomérations françaises en partenariat avec des médias locaux.
L’opération s’appuie sur l’outil participatif en ligne Debatomap’ (anciennement Carticipe), prenant la forme d’une carte interactive sur laquelle tout un chacun peut exprimer une idée sur sa ville, soumettre des propositions, ou simplement réagir à celles des autres participants.
« Installer des bancs ici » ou « Végétaliser les places et lutter contre la chaleur urbaine », « faciliter la traversée de cette rue… » ou « Rendre la ville aux piétons », « Installer une pompe à vélo publique » ou « améliorer les continuités cyclables sur l’ensemble de l’agglomération » , avec aujourd’hui près de 3300 contributions (idées et commentaires confondus) pour un peu plus de 1400 inscrits, la plateforme sert autant l’expression de besoins très concrets que la mise en discussion d’enjeux à une échelle plus large. Une posture qui se retrouve dans le choix des sept agglomérations où la plateforme est disponible, offrant une représentation de la diversité des réalités urbaines. Ainsi, Paris et la métropole du Grand Paris illustrent le cas d’une mégalopole, Lyon et Aix-Marseille celui de puissantes et vastes métropoles ; Strasbourg en tant qu’Eurométropole, donne un exemple de métropole frontalière ; Bordeaux celui d’une métropole en plein essor démographique, et enfin Bourges et Agen des exemples de villes moyennes.
Quel a été le point de départ de cette démarche ?
Comment les utilisateurs s’en saisissent et pour quelles suites ?
Plusieurs questions ont été posées au duo d’associés de Repérage Urbain, Eric
Hamelin et Benjamin Hecht, pour appréhender la portée d’un tel projet, connaître
sa genèse, et comprendre les apports de leur outil aux débats sur les
problématiques urbaines actuelles.
Parlez-nous de votre outil
cartographique, quelles ont été les motivations derrière sa création ?
L’outil a été développé au départ pour favoriser l’expression du public dans le cadre de l’élaboration de plans locaux d’urbanisme. Nous estimions qu’il fallait que les citoyens soient, non pas capables de comprendre tous les enjeux techniques d’un PLU avant de pouvoir s’exprimer, mais plutôt qu’il nous appartenait à nous, les professionnels, les urbanistes, les techniciens, de leur offrir un moyen simple de manifester leur ressenti ou leurs idées sur le territoire. Le site est structuré de la façon suivante : un fond de carte numérique s’affiche, sur lequel il est possible d’exprimer librement une idée, le seul cadrage étant une structure en thématiques, représentées par des couleurs, et en sous-thématiques, représentées par des pictogrammes. On choisit un pictogramme, on le glisse sur la carte et on le place sur le territoire à l’emplacement de son choix. A partir de là, toute personne est invitée à ouvrir le débat. Chacun des pictogrammes crée une bulle qui peut être débattue par des commentaires, et évaluée par des pouces de soutien ou d’opposition, la bulle grossissant à mesure qu’elle reçoit du soutien.
A la base de notre réflexion globale, nous voulions encourager un débat horizontal entre les citoyens pour inciter à évaluer, améliorer ou préciser collectivement les pensées des uns et des autres avant de les livrer aux urbanistes, à l’inverse du débat vertical ou frontal qui prédominait dans les concertations ou les réunions publiques, à l’époque où nous avons conçu la première version de l’outil. D’où cette idée, pour stimuler le débat et donner envie de participer, d’avoir des pouces de votes et des bulles qui prennent des dimensions proportionnellement plus importantes quand elles sont soutenues par plus de gens. Au moment de la création de la toute première version du site en 2013, c’était le début du décollage de Facebook qui proposait uniquement de mettre des pouces favorables, sans aucune possibilité de s’opposer. Pour nous, c’était important de permettre d’être également « défavorable », parce que la démocratie n’est pas un système de pétition où celui qui a le plus de signatures gagne. Il est indispensable de pouvoir montrer son opposition. A ce titre, la théorie des différents degrés d’engagement, que nous avions pu lire dans une certaine littérature du web participatif, a beaucoup inspiré la conception initiale du site. L’objectif était de proposer au public différents degrés de participation, plus ou moins complexes. Ça n’a l’air de rien, mais c’est important : on peut être un citoyen contributeur à la réflexion assez actif en rédigeant des propositions; dans un moindre degré on peut commenter les propositions des autres ; dans un autre degré d’engagement, encore plus léger, se connecter et se contenter de voter, puis dans un dernier degré simplement lire ce qui se dit.
L’idée d’origine de Carticipe-Debatomap était donc d’avoir un outil ergonomique, facile d’utilisation pour inciter à l’énonciation d’avis de citoyens, sans imposer de quelconques enjeux particuliers ou éléments de diagnostics techniques. Nous considérons que mettre en place un diagnostic participatif, en amont des diagnostics techniques, permet d’enrichir les expertises et la connaissance du territoire. C’est une forme d’expertise citoyenne . On en a désormais un certain nombre d’exemples, avec plusieurs dizaines d’expériences de ce type à notre actif, et des experts locaux souvent agréablement surpris par l’intérêt des expertises citoyennes qui émerge de ces démarches.
Et en pratique, quelles utilisations en avez-vous faites ?
Nous l’avons lancée pour la première fois en 2013 pour un Plan Local d’Urbanisme (PLU) à l’échelle de la commune de Laval, en Mayenne. Nous l’avions associée à des démarches de terrain, avec des ateliers dans des lieux publics et des maisons de quartier, où des animateurs saisissaient directement les idées sur la carte en ligne. Ces allers-retours entre le numérique et le terrain avaient permis un réel enrichissement des idées par un effet « boule de neige » entre la communication sur les réseaux sociaux, les contributions sur le terrain et celles des internautes.
Depuis cette première expérience, nous avons passé sept ans à développer différentes versions de cet outil cartographique participatif, qui a pris une place de choix parmi notre éventail de méthodes de concertation et de sociologie urbaine. Il a ainsi été mis à contribution sur une quarantaine de territoires et projets urbains différents, en France et à l’étranger. C’est d’ailleurs dans une volonté de développer des expérimentations à l’étranger que Carticipe est devenu il y a deux ans « Debatomap’ », un mot valise à base d’esperanto qui se comprend en italien comme en espagnol et qu’on devine aussi en approche anglophone ou francophone. Nous l’avons donc utilisé pour la concertation réglementaire de multiples projets, majoritairement dans le cadre de PLUI (Plan Local d’Urbanisme Intercommunal) ou de SCOT (Schéma de Cohérence Territorial). Nous en avons également décliné l’usage pour des démarches de projet à des échelles extrêmement variées, allant de quartiers bénéficiant de PRU (Projets de Renouvellement Urbain), comme aux Aubiers à Bordeaux ou dans le quartier de l’abreuvoir à Bobigny, en passant par des projets de centres-villes comme à Vannes ou Saint-Jean-de-Luz, jusqu’à un projet ferroviaire interrégional avec la concertation pour une nouvelle ligne Paris-Normandie.
L’outil a par ailleurs été adapté à d’autres utilisations selon les demandes des clients. C’était le cas par exemple dans le Val-de-Marne et à Saint-Etienne où il a pris la forme d’une carte participative d’actions citoyennes, ce qui nous a permis de tester de nouvelles fonctions et options, telles qu’une « échelle d’appréciation » sous forme d’émoticônes, en lieu et place des pouces de votes classiques. Mais toujours en gardant cette possibilité d’une évolution du score d’appréciation à la baisse et pas seulement une augmentation à sens unique.
Quels enseignements tirez-vous de ces expériences ?
De manière générale pour les démarches de PLU, cet aspect à la fois numérique et physique de concertation permet d’élargir les profils de populations qui s’expriment, de mieux partager les enjeux, et de mieux identifier les points de consensus éventuels ou les convergences collectives, mais également de mieux comprendre les points de dissensus ou de divergence de points de vue. Parfois, les élus ont une vision un peu monolithique des opinions de leurs populations, influencée par les portes-paroles associatifs ou les « portes-voix » de leur territoire. Avec les techniques qu’on utilise, on élargit souvent la participation à des catégories de personnes qui ne sont pas fréquemment consultées ni entendues. On pense par exemple aux familles avec enfants, et plus largement aux actifs d’âge moyen, qui ne viennent pas facilement aux réunions publiques, par manque de temps ou parce qu’ils ont d’autres préoccupations prioritaires. Parmi les réflexions pratiques et théoriques à la base de notre démarche, il y avait cet objectif d’élargir et de diversifier les publics de la concertation pour changer le point de vue des élus et des urbanistes sur ce que la population (en réalité les populations) pense et peut apporter à la décision. Dans le cadre du PLU de Laval, notre premier essai, nous avions déjà réussi à surprendre les élus et à leur montrer que quelque chose de plus constructif que ce qu’ils attendait pouvait sortir d’une concertation aussi massive, grâce notamment à cette approche « phygitale », mêlant outil numérique et rencontres publiques.
Par ailleurs, contrairement à ce que craignait certains de nos clients, nous avons constaté au fil du temps que la dimension en ligne de la carte n’était pas forcément synonyme de conflits et qu’il était finalement assez rare d’atteindre le fameux « point Godwin » – le moment ou des participants s’invectivent ou invectivent les pouvoirs publics – contrairement à ce que l’on constate sur les réseaux sociaux ou les commentaires de presse. A Laval par exemple, le maire était initialement assez dubitatif sur les apports de la démarche, car il craignait qu’elle génère davantage d’attaques ad personam que de contributions constructives. Mais il a été peu à peu convaincu, si bien qu’à la fin c’était lui le plus grand promoteur de la carte. La dimension cartographique associée à un cadrage en pictogrammes concentre le débat sur le concret. C’était une autre des hypothèses théoriques intégrées dès la création du site : cadrer le débat pour pousser les participants à détailler leurs envies, leurs besoins sur le territoire, proposer du concret plutôt que de s’invectiver sur des idées générales ou se contenter de constats plaintifs. Plus on limite les généralités, plus on a tendance à éloigner le conflit. Pour autant, on ne nie pas la controverse puisqu’il y a des fonctions de votes pour ou contre. Nous pensons justement qu’il est important d’assumer les controverses, centrées sur un sujet de débat précis et détaillé, et ce dès le départ, plutôt que de laisser pourrir des « conflits » qui correspondent plutôt à des débats centrés sur les individus, et se nourrissent le plus souvent de généralisations excessives et d’interprétations abusives des pensées d’autrui. En situation de conflit, pour une médiation par exemple, plus on va entrer dans le détail et dans le concret, plus on va trouver des points d’accord potentiels entre les uns et les autres. En découpant le problème en approche territorialisée, thématisée (en thèmes et sous-thèmes) on imaginait pouvoir trouver plus facilement des pistes de convergence collective, des sujets sur lesquels on pourrait trouver des tendances, soit consensuelles, soit de potentiels compromis sur des aménagements pouvant faire débat.
Notre mantra, c’est aussi de redonner la place au politique. Le rôle d’un élu est de faire un choix par rapport à différentes possibilités. Encore faut-il pour cela avoir des éléments de réflexion, de débat, de compréhension. Si on arrive à des consensus c’est très bien, mais c’est aussi en connaissant mieux les sujets et les motifs profonds de controverses que l’on peut produire une meilleure décision. En démultipliant le nombre de personnes qui s’expriment, on a plus de chances de retourner au concret et aux problématiques réelles des usagers. Carticipe-Debatomap est donc apparu comme un outil d’aide à la décision, un outil de concertation, mais surtout un outil très riche en contenu comparé à ce qui se faisait jusque-là en termes d’urbanisme réglementaire.
Et pour « Debatomap
2020 » cette année, quel a été le point de départ de la démarche ?
Il y a six ans, nous avons initié deux démarches, une à Strasbourg, l’autre à Marseille, autour des municipales de 2014 pour offrir un terreau expérimental élargi à notre outil et pouvoir ensuite le développer comme une offre pour des collectivités locales. Grâce à l’appui de partenaires médias locaux, Rue 89 Strasbourg et Marsactu, l’expérience a plutôt bien fonctionné puisque près de 1500 personnes s’étaient connectées, avaient écrit plus de 3800 contributions et exprimé environ 20 000 votes. La démarche constituait donc un succès en termes de participation, mais également en termes d’aura sur le plan local, où nous avions eu de nombreux retours positifs. A Strasbourg par exemple, les élus et techniciens des services nous avaient, peu de temps après l’élection, demandé l’accès à la base de données des idées, que nous avons finalement mise en accès libre pour tous, sur notre blog. Cela a aussi été l’occasion d’améliorer et de compléter les fonctionnalités de l’outil, avec un certain nombre de retours d’expériences d’usagers que nous connaissions sur ces deux villes.
D’ailleurs, dans ce genre de démarche, on est souvent confronté de la part des participants à la question de savoir quels seront les impacts de la participation sur les politiques menées, question qui se pose également et de façon d’autant plus légitime lors de concertations publiques. Le cadre de cette initiative-ci, avec des médias, ne permet pas de garantir que l’expression citoyenne aura une réponse certaine. Néanmoins, on peut estimer que, si on la relaie par la presse, elle peut avoir un impact. Il se trouve que ça en a eu un. On ne peut pas tout démontrer, car il y a des jeux d’influence diffus entre les articles de presse tirés de notre démarche et le cheminement des décisions locales, mais, en 2014, on a vu ressortir dans les programmes politiques dans l’action ultérieure des élus de Strasbourg et Marseille des suggestions qui avaient émergées préalablement sur la carte, notamment sur des thèmes de mobilités douces, de piétonnisation, de cyclabilité…
Nos démarches sur cartes participatives ont d’ailleurs souvent montré qu’une bonne partie de la population était beaucoup plus favorable à des engagements environnementaux « courageux » tels que la réduction de la voiture en ville, la politique piétonne ou la politique cyclable, bien davantage que ne se l’imaginaient certains élus ou techniciens. Parfois, il arrive aussi que des idées émises par les citoyens soient très proches de ce que les urbanistes avaient préalablement imaginé sans encore le rendre public. C’est un phénomène de « convergence spontanée » qui arrive de manière récurrente et qui n’est pas prévisible, mais qui est très utile pour mener à bien des politiques ambitieuses d’évolutions urbaines.
Toujours est-il que cette première expérimentation avait été plutôt encourageante. En voyant les élections municipales de cette année arriver, nous avons pensé que c’était l’occasion de retenter quelque chose à plus grande échelle. Sur ce point, le soutien de nos médias partenaires amplifie nos possibilités d’action : en dehors du cadre d’une commande publique, nous ne sommes pas limités à un territoire donné et pouvons proposer de débattre sur ceux de notre choix. Nous avons donc entamé la démarche à l’automne 2019 en nous rapprochant de médias locaux. Nous avions travaillé avec Marsactu et Rue89 Strasbourg à qui nous avons proposé de recollaborer, puis par pollinisation nous avons pu lancer un partenariat avec Rue 89 Bordeaux. Sur le Grand Paris nous travaillons avec notre partenaires associatif Métropop (avec qui nous avions déjà travaillé dans certains quartiers de la métropole) ainsi qu’avec EnlargeYourParis, blog culturel lié à Libération, et enfin avec Le Petit Bleuà Agen ou le Berry Républicain à Bourges.
Pourquoi avez-vous choisi ces sept villes en particulier pour Debatomap2020?
Nous avons choisi des villes qui nous intéresse et avec lesquelles nous avons des liens particuliers. En effet, je (Eric Hamelin) suis natif de Strasbourg, Benjamin (Hecht) est natif d’Agen et sa famille vit à Bordeaux, Paola (Gonzales) est arrivée en France à Lyon, Magali (Ottino) et Kamel (Bentahar) viennent de la grande agglomération d’Aix-Marseille. Pour Bourges, nous avions des contacts avec des personnes qui défendaient la revitalisation des centres-villes de villes moyennes, sujet qui nous intéresse particulièrement notamment suite à nos collaborations et ouvrages avec Olivier Razemon (auteur notamment de « Comment la France a tué ses villes »). Cette démarche était donc une occasion de développer le débat sur ces différentes villes, d’en comparer les problématiques en utilisant les mêmes thématiques et d’expérimenter quelque chose d’intéressant avec les médias locaux. Cela nous permet de viser des résultats un peu différents et en tout cas complémentaires de ce que nous avons l’habitude de voir avec les PLUI.
De manière générale, nous avions cette envie de nous impliquer dans le débat des municipales, avec toujours cette réflexion sur le sens du concret et le sens du compromis. Nous pensions qu’en associant nos réflexions théoriques et pratiques avec la diffusion de cet outil sur quelques villes qui nous sont chères, nous pouvions inciter des citoyens à s’exprimer dans la campagne sur du concret plutôt que sur la tête du candidat ou la course de petits chevaux municipaux. C’est-à-dire les inciter à se saisir de la question du projet concret pour la ville, par eux-même, sans s’en remettre à des programmes municipaux trop souvent ficelés à la va-vite par un nombre trop réduit de personnes. D’autant que les municipales concernent largement les questions d’aménagements urbains, de construction, de voirie et de transports, d’espaces publics, qui constitue une part importante des budgets communaux et intercommunaux. Ce devrait être l’occasion incontournable d’organiser des débats citoyens sur ces sujets… et c’est rarement le cas malheureusement car les campagnes municipales manquent de moyens financiers et de « temps de média disponible », et se limitent trop souvent à des questions de personnes et de jeux d’étiquettes.
Y a-t -il des différences avec vos démarches de concertation habituelles ?
La différence majeure entre cette initiative et les démarches officielles de concertation publique est qu’ici nous n’avons pas d’obligations de viser l’ensemble de la population locale. Nous nous appuyons sur nos partenaires locaux pour faire connaitre la démarche, faisons de la communication sur les réseaux sociaux dans la limite de nos moyens ici assez réduits, étant donné l’aspect non lucratif de l’opération . Nous avons moins de moyens, mais moins d’obligations, et ce n’est selon nous pas moins intéressant. Parmi les personnes qui s’expriment sur les cartes Debatomap 2020, certaines produisent en effet des propositions assez pointues, une forme d’expertise citoyenne « qualifiée » si l’on veut. Bien davantage que dans les démarches PLUi (Plan Local d’Urbanisme intercommunal), nous avons ici beaucoup d’idées argumentées de façon sophistiquée, s’appuyant fréquemment sur des liens externes pour nourrir leur démonstration, ou ajoutant des contributions illustrées par des schémas, des plans, des croquis. Les contributeurs sont possiblement plus instruits, ou alors se passionnent pour ces questions. Leur mobilisation est sans doute justifiée par d’autres motivations, d’autres intérêts que ceux qui s’expriment dans un débat public institutionnel officiel. Ce ne sera pas forcément représentatif de toutes les tendances ou aspirations locales, contrairement aux démarches pour des municipalités où nous allons jusqu’à solliciter le public sur les marchés pour assurer une diversification des participants, mais c’est intéressant sous un autre angle, car cela prouve la capacité d’une part de la population, tout de même assez conséquente, à apporter des idées solidement construites et argumentées. Nous ébauchons ainsi la démonstration de ce que pourrait être une « intelligence collective » productive et constructive en matière d’aménagement de la ville.
Justement, comment
avez-vous choisi les thèmes et pictogrammes de votre carte, pour cette édition
« Debatomap 2020 » ?
Nous avons décidé d’utiliser une même grille de thèmes pour travailler plus facilement à l’échelle de plusieurs agglomération simultanément, et pouvoir être dans la comparaison. Toutes les données sont en commun – contrairement à nos Debatomap institutionnels mis en place au cas par cas pour des commanditaires et pour lesquelles nous avons des grilles de thèmes spécifiques à chaque territoire – ce qui nous permet ici de suivre l’ensemble de ce qui se passe sur un même flux de données.
Pour ce qui est du choix des thèmes, nous sommes allés au plus simple. Ainsi on retrouve cinq thématiques générales, assez fréquemment utilisées d’après nos expériences précédentes : mobilités, environnement, urbanisme, économie locale et loisirs et services, chacune déclinée en cinq pictogrammes. Nous les avons structurés de manière plus ou moins détaillée en nous basant sur nos expériences des préoccupations des populations. On sait par exemple que la question des transports est généralement récurrente et mobilise facilement. En revanche, pour ce qui est des questions de logements et d’habitat, c’est un peu particulier car, avec nos retours d’expériences, on constate que le sujet du logement est moins mobilisateur que celui des mobilités, de l’environnement ou des commerces, certainement car il s’agit d’une problématique qui n’affecte fortement la vie d’un individu que quelques fois dans sa vie, au moment de déménager ou d’investir. On n’y est pas confronté de manière quotidienne, contrairement à d’autres problématiques qui permettent de mobiliser plus spontanément l’expertise des individus sur la ville. Dans nos démarche sur les Plans Locaux d’Urbanisme, qui ont pour objet de réguler la construction, c’est pourtant un sujet incontournable, pour lequel nous avons l’habitude de détailler des sous-thématiques par catégories de populations, par exemple « logements des jeunes, des personnes âgées, logement social… ». puis d’insister auprès des populations concernées pour qu’elles s’expriment sur ce point dans le cadre de rencontres publiques qui accompagnent la démarche numérique. N’ayant ici aucune contrainte , nous avons groupé tout les sujets habitat dans un thème « urbanisme » plus général, en y joignant les questions de patrimoine, de rénovation et de construction neuve.
S’agissant des contributions, constatez-vous l’émergence de problématiques ou de tendances particulières en 2020 ?
Comme c’était le cas en 2014, la thématique des mobilités est particulièrement populaire puisqu’il s’agit d’une problématique à laquelle tout individu est confronté quotidiennement (à l’inverse, comme nous l’avons évoqué précédemment, des questions de logements par exemple).
Cette année, nous constatons que les débats sur les mobilités se concentrent beaucoup sur la question de la diversité de l’offre et des modes de transport : Faut-il un tramway, un métro, une ou plusieurs lignes, des bus… Derrière ces questionnements, on peut lire des interrogations sur la stature de la ville : est-ce nécessaire pour une ville moyenne de se doter d’un tramway ou d’un BHNS pour assumer son identité d’agglomération ? Pour les métropoles, s’agit-il de donner la priorité au métro, ou au tramway au voir au tram-train, ou d’assurer un mix des deux comme suggéré à Marseille du moment que ce soit « à profusion » ? Ces problématiques ne sont pas nouvelles puisqu’elles avaient déjà fait débat dans les années 1980 ou 90, mais elles se reposent explicitement aujourd’hui. Elles peuvent même être profondément débattues, comme on peut l’observer à Lyon ou Bordeaux, où la question de savoir s’il est plus judicieux d’opter pour un métro ou un tramway est source d’importantes délibérations entre citoyens. Par ailleurs, la question de l’utilisation des transports aquatiques pour développer un vrai complément d’offre de transports en commun est soulevée, par exemple à Bordeaux, à Marseille ou dans la banlieue parisienne. Même si l’idée peut aussi être critiquée pour sa faible vitesse, par exemple à Strasbourg, ville dont les cours d’eau sont entrecoupés d’écluses, ce sujet pose la question de l’agrément des transports publics et pas seulement de leur performance.
En creux, les débats sur les transports en commun cherchent à répondre à la question suivante : quelle alternative efficace et durable à la voiture ? Et surtout, jusqu’à quelle échelle peut-on oser mettre en place ces alternatives ? En miroir, il y a très peu de choses sur la facilitation de la circulation automobile. Même dans le grand Paris côté « banlieue », territoire phare de la congestion automobile, les positions exprimées par des automobilistes semblent essentiellement se résumer aux questions de sécurité routière ou de stationnement préférentiel pour les riverains.
En parallèle, un autre débat semble émerger sur ces cartes quant à la possibilité de sortir les gros axes urbains des villes-centres. Nombreuses propositions vont dans ce sens comme à Strasbourg où un utilisateur a proposé la suppression de l’A35 en ville et un autre propose de la dissimuler sous un grand parc, ou encore à Marseille où l’idée est prise sous l’angle de la requalification de certains axes routiers. Dans l’ensemble, il ressort un besoin de pacification des voies urbaines et surtout de rééquilibrage entre les différents modes de déplacement.
Il y a également des sujets qui poursuivent des tendances déjà bien entamées auparavant. C’est le cas du vélo, dont on remarque la constance dans les idées. C’est un vecteur très fort de mobilisation à travers lequel une minorité active et éclairante nous donne accès à une véritable expertise de terrain. Il y a un réseau de cyclistes au sein duquel l’information circule largement et facilement. Des cyclistes, via des associations, se sont donc passé le mot à propos de la carte pour la remplir. Sur les sept dernières années, nous avons également observé la montée en gamme d’une expertise cycliste dans les propositions publiées, nourries de références, d’exemples pris ailleurs, de schémas cyclables dessinés, de services divers pour vélo (ateliers de réparation, borne de gonflage, …). C’est un milieu qui rassemble des connaissances très pointues sur le sujet. On retrouve ici cette question un peu lancinante de l’alternative à la voiture, notamment par rapport à son impact sur la qualité de vie en ville.
Toutefois, nous arrivons à identifier des problématiques inédites dans cette nouvelle expérience. On ressent notamment une forte prégnance des préoccupations environnementales qui se manifeste dans de croisement des questions d’aménagement des espaces publics avec celles de protection l’environnement. Cela s’observe parfaitement avec l’émergence du thème de la fraicheur urbaine et de la lutte contre les îlots de chaleur urbainedans plusieurs des villes concernées. C’est un sujet au cœur de nombreuses propositions citoyennes, qu’il soit abordé directement ou qu’il serve simplement d’argument pour verdir la ville. L’expression du besoin de plus de verdure en milieu urbain n’est pas nouvelle, c’est même une forme de constante anthropologique. Mais ce qui est assez original, c’est cette idée de sa dissémination dans toute la ville. Les demandes ne sont pas focalisées sur une grande place ou un grand parc, mais tendent plutôt vers la prolifération végétale. Les propositions pour lutter contre les îlots de chaleur sont déclinées de plusieurs manière, par exemple en verdissant les rails de tramway, les parkings, les cours d’école, ou encore les façades ou les toitures… Sur ce point, il y a véritablement convergence spontanée puisque des candidats ont fait de nombreuses propositions là-dessus. Néanmoins cet argument de la fraîcheur urbaine constitue une véritable nouveauté. Il y a comme un emballement climatique qui semble être le produit d’un « effet canicule ».
Deux exemples de contributions, l’une à Marseille et l’autre à Strasbourg, allant dans le sens de la lutte contre les îlots de chaleur et pour un verdissement de la ville.
Allant toujours dans ce sens, nous constatons que l’utilisation du pictogramme « espace public » sert notamment pour exprimer une volonté de reconquérir la chaussée et la transformer en lieux de vie. Cela se traduit par des idées d’aménagement allant de l’installation de « rues scolaires », type rue du jeu des enfants à Strasbourg, à des plans de piétonnisation plus ou moins étendus. Tout cela en proposant de reprendre de l’espace sur les places de stationnement, ou sur la voirie. Il s’agit donc d’un débat connexe à celui autour de la voiture et de sa limitation dans la ville. De manière générale, ces différentes tendances expriment un besoin croissant d’espaces de vie agréables en ville pour assurer une convivialité urbaine, une possibilité de s’aérer et de mieux supporter la densité.
Deux exemples de propositions portant sur le développement d’espaces dédiés aux piétons : une « rue scolaire » à Marseille et la piétonisation du cours Franklin et de ses contres allées à Lyon.
On remarque qu’il y a donc comme un quadriptyque de sujets qui semblent dominer les préoccupations citoyennes cette année et que l’on ne retrouvait pas de manière aussi forte lors dans nos démarches de concertation publiques ces dernières années : l’attente d’une « deuxième vague » de développement des transports en commun, la végétalisation comme élément de lutte contre le réchauffement climatique, la récupération d’espaces publics pour le verdissement et la convivialité, et enfin la demande de plus en plus large d’aménagements cyclables.
Quelles sont les suites de la démarche ?
Dans un premier temps, nous médiatisons avec nos partenaires les idées citoyennes ou les thèmes les plus populaires, au travers de publications d’articles (voir les liens des premiers articles ci-dessous) et sur les réseaux sociaux, afin d’inciter les candidats, puis les nouveaux élus et autres acteurs locaux à s’en saisir. Cela nous semble important que l’outil puisse générer des réactions relativement spontanées, car c’est une suite immédiate qui donne une motivation à s’exprimer aux contributeurs même si, à la manière des réseaux sociaux, cela peut induire une dimension superficielle. L’expérience nous a prouvé sur d’autres opérations que certains acteurs qui se saisissent eux-mêmes et un peu trop rapidement des contenus n’en retiennent parfois que le « hit parade » des idées récoltant le plus de votes. Alors que la richesse des contenus que nous collectons est parfois, voire même souvent, dans l’accumulation de nombreuses idées allant dans le même sens, sans pour autant qu’une seule domine.
A plus long terme, l’idée est de produire des synthèses ainsi que des articles d’analyses plus approfondis que nous publierons sur notre blog et diffuserons à nos partenaires. Nous pensons laisser la carte en ligne au delà de la période électorale de sorte à ce que les candidats fraîchement élus puissent s’inspirer des propositions citoyennes. En ce sens, nous mettrons sûrement à disposition les bases de données, comme nous l’avions fait en 2014. Etant donné qu’il ne s’agit pas d’un travail pour un commanditaire, nous ne sommes donc pas soumis à quelconque confidentialité. Même si les données personnelles seront anonymisées, les contributions resteront ainsi consultables sur le long terme.
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