Illustration de l’utilité de la peinture au sol comme outil (rapide et pas cher) de test et de changement des usages urbains…

Une peinture au sol peut sembler un outil un peu trop léger pour modifier la ville, les espaces publics, les usages et le partage des voiries… Pourtant qu’il s’agisse de tester de nouveaux usages à échelle réelle, de préfigurer de futures transformations, mais aussi de faire évaluer par la population la pertinence de tels ou tels aménagements, la peinture peut-être à la fois efficace et pas chère !

De plus, de simples traits de peinture – y compris sous forme de peinture à la craie et de lignes approximatives tracées par des non-professionnels du marquage au sol – parviennent souvent à modifier les comportements, de façon impressionnante et quasi-instantanée. Cela fait parti de ce que certains appellent l’urbanisme tactique.

Voici la preuve de cette facilité, en quelques photos commentées issues de nos expériences de terrain (l’équipe Repérage Urbain) .

Outil de test grandeur nature d’équipements de loisirs de plein air…. avec de la simple peinture à la craie.

Une des premières démarches durant laquelle nous avons utilisé de la peinture au sol éphémère a eu lieu en 2022 dans le quartier de logement social des Aubiers à Bordeaux. Il s’agissait de représenter en grandeur nature, sur une grande prairie jouxtant le quartier, certains aménagements suggérés par les habitants. Ces suggestions avaient été collectées le matin même, au cours d’une démarche de concertation en plein air avec des stands participatifs divers, dont un atelier où les participants pouvaient « Dessiner la prairie de demain ! » sur un fond de plan (ci-contre, cliquez pour agrandir). Nous avons été les premiers surpris de voir l’appropriation immédiate par quelques habitantes et enfants de cette représentation approximative de piste de course que nous avions réalisée en 20 minutes avec 3 bombes de peintures éphémères à la craie !

En 2023, inspiré par cette expérience, nous avons renouvelé l’idée de tester l’appropriation instantanée (ou non) d’un espace de jeu – en l’occurrence un terrain de pétanque – dans le cadre d’une démarche participative approfondie pour déterminer le devenir d’un terrain en friche de 2000m². Ce terrain, au coeur du quartier de la Robertsau à Strasbourg, les Cours Saint Louis, suscitait un vif intérêt parmi les résidents de ce secteur d’environ 25 000 habitants, de part sa centralité. Après plusieurs étapes préalables ayant impliqué des centaines d’habitants, nous avions défini participativement un plan-programme d’aménagement de ces cours, mêlant place public évènementielle et équipements d’espaces verts. Ce terrain de pétanque était l’un des éléments que nous avons représenté en grandeur nature sur le site, au cours une journée évènementielle, afin de confirmer les attentes des habitants par une dernière démarche de « validation par la foule ».

Toujours dans l’idée de « préfiguration légère » (très temporaire et économique), nous avons figuré en 2024 un City-stade à Auchay-Sur-Vendée, encore avec de la peinture à la craie, complétée de quelques accessoires sommaires (manches à balais, ficelles, fanions). Ce test de City-Stade visait à valider un concept programmatique issu, là encore, d’une démarche consultative préalable auprès de l’ensemble de la population concernant le devenir d’un ancien (grand) terrain de foot, qui devrait également accueillir quelques logements. Mais le test nous permettait également de nourrir un dialogue avec les usagers potentiels sur la taille de City-stade la plus adaptée à leurs envies et leurs pratiques.

Ces peintures à la craie, utilisées pour des préfigurations sommaires et brèves, ont l’avantage d’être écologique, sans toxicité biologique même sur l’herbe, et de s’effacer d’elle-même après un ou deux jours de pluie.

Outil d’évaluation collective d’hypothèses d’aménagement

Sur le projet de 2023 mentionné plus haut, les Cours Saint Louis à Strasbourg-Robertsau, nous avions également représenté au sol, de façon très sommaire et éphémère, un espace que la première phase de concertation avait définie comme devant être recouvert de pavés enherbés (photo ci-dessus). Nous avions d’ailleurs préfiguré avec des moyens légers une bonne partie des aménagements représenté sur le schéma des hypothèses d’aménagement ci-contre (cliquez pour agrandir), avec peinture éphémères et quelques équipements de récupération posés en vitesse, en provenance des stocks municipaux. Cela afin que les habitants puissent, pendant quelques jours, se représenter à échelle réelle la composition proposée, et puisse réagir sur un questionnaire d’évaluation accessible entre autres par un QR code affiché sur le site.

Nous avons mené en 2025 une expérience similaire, concernant le réaménagement de la Dalle Paul-Eluard à Bobigny, qui doit connaître des transformations importantes dans le cadre d’un projet de rénovation globale co-financé par l’ANRU (Agence Nationale de Rénovation Urbaine). La dalle doit ici recevoir de nouveau espaces plantés, avec une bonne épaisseur de terre et une plus grande étendue de végétation que celle fournie par les bacs à plantes actuels…

Afin d’attirer l’attention des résidents sur cette démarche et écouter les réactions au projet, nous avons sollicité les enfants du quartier pour participer avec de grosses craies à la décoration de cette simulation éphémère sommaire, mais grandeur nature et ludique.

En 2024, nous avions testé un usage des peintures à la craie dans un processus d’évaluation collective assez différent . Il s’intégrait dans une large démarche de concertation sur le projet de transformation des voiries d’un quartier du vieil Orléans, le quartier Bourgogne Village, à proximité du centre-ville piétonnier. La rue centrale de ce quartier, la rue de Bourgogne, a vocation à devenir elle-même piétonne sur plus de 400 mètres, à la suite d’une consultation par questionnaire menée par la ville à l’hiver 2023 sur suggestion de certains habitants, dont les résultats étaient très tranchés.

Mais une multitude de détails restaient à définir, tels que les impacts sur le plan de circulation du quartier environnant, les adaptations des mobiliers urbains, qui comme dans le cas en exemple ci-dessus – bornes vélos en libre service mal situés – peuvent empêcher le développement d’espace de convivialité ou limiter l’accessibilité de lieux recevant du public.

Nous avons donc organisé, parmi différents dispositifs participatifs proposés pour ce quartier, une « déambulation-grafitti » afin d’annoter collectivement, au sol de la Rue de Bourgogne, toute une panoplie de détails d’améliorations futurs de cette chaussée. Les suggestions étaient émises en direct par tout un chacun, oralement, avant d’être soumises à vote instantané. Des cartons de couleurs étaient fournis à chacun, pour valider ou non une proposition d’un des participants. Les idées validées étaient ensuite annotées à même le sol à la peinture temporaire.

Nous laissions ainsi directement la trace de ces accords collectifs en avançant, indiquant ici le souhait de création d’une terrasse, là une suppression ou l’ajout d’un équipement, ici l’intégration de végétaux…. Les traces ainsi laissées nous ont également permis de faire réagir un certain nombre de passant non impliqués préalablement. Et ainsi de les inciter à prendre également part à la concertation, soit sur le moment, soit en ligne sur le site participatif municipal, où la synthèse des résultats de cette journée allait être publiée rapidement.

Il est intéressant de noter que, sur cette rue du centre historique d’Orléans, les attentes des participants en termes de végétalisation se sont limitées à quelques suggestions de « plantes grimpantes et traversantes », afin de ne pas réduire la capacité de cette chaussée relativement étroite à accueillir des usages très urbains et conviviaux : futures terrasses de cafés et restaurants, parvis d’équipements publics, chalands et promeneurs, poussettes, vélos…

Outil de « prise de possession » de la voirie par les piétons, sur une période un peu plus longue

Dans le même quartier Bourgogne Village à Orléans, la suite des opérations nous a amené à accompagner la ville en 2025 dans une démarche de préfiguration de plus longue durée. Il s’agissait cette fois non plus de marquages éphémères, mais de donner vie à la piétonnisation expérimentale de deux rues, pour plusieurs mois, jusqu’à réalisation de travaux définitifs : La rue « scolaire » Aignan Thomas-Desfriches, et la fameuse rue de Bourgogne, sur une longeur de 400 mètres. Nous avons ici contribué à la mise en oeuvre de décorations de sol en mode artistico-participatif.

Le but des peintures au sol devient ici d’inciter les piétons à prendre possession de la chaussée, alors que le changement de statut se limite dans un premier temps à la pose de panneaux sens interdit. Comme l’ont montré diverses expériences d’urbanisme tactique, une chaussée décorée peut décomplexer les piétons qui hésitent encore à quitter le trottoir, peu informés du changement de règlement ou intimidés par quelques véhicules qui se jouent des sens interdit – tels que les deux roues passant à toute vitesse ou les voitures de riverains gardant un droit d’accès à leurs garages . Elle fait aussi comprendre à ces véhicules résiduels qu’ils ne sont plus ici en terrain acquis à la vitesse, en cassant la linéarité et en rendant difficile à ignorer le changement de statut.

Pour la première rue, devant l’entrée du groupe scolaire Saint-Paul Bourdon Blanc, nous avons suggéré à la ville de s’inspirer d’une expérience menée au centre-ville du Pré-Saint-Gervais où nous avions travaillé précédemment. Lors d’une phase de préfiguration de l’aménagement d’une nouvelle rue piétonne, un artiste plasticien y avait réalisé une fresque participative avec les enfants d’une école. Nous avons identifié un artiste local, du nom de BAM, qui a proposé une démarche équivalente à Orléans, en dialoguant au préalable avec des enfants en classe pour définir le concept puis en réalisant la fresque collectivement en une grande après-midi. Le choix des enfants s’était porté sur la réalisation d’un « jeu de l’oie géant », dont vous pouvez visualisez la forme finale ci-dessus.

Autre rue, autre approche. La rue de Bourgogne étant un axe assez important, il restait relativement circulé malgré la pose des sens interdit, du fait d’un nombre assez important d’utilisateurs de parkings privés, conservant un droit d’accès dans le périmètre. De plus, sa longueur contribuait certainement au fait qu’un certain nombre de passant ignoraient visiblement son changement de statut, en persistant à utiliser les étroits et inconfortables trottoirs. La peinture devait donc ici faire comprendre clairement ce changement.

L’intervention nécessitait également une réflexion sur l’économie de moyen. Envisager une « fresque » sur une longueur de 400 mètres aurait en effet été tout à fait disproportionné. C’est ainsi que nous avons suggéré d’utiliser des pochoirs « piétons », pour marquer de façon sporadique la chaussée sur tout son long, avec l’appui de citoyens motivés. Ayant sollicité le même artiste BAM que précédemment, celui-ci à surajouté l’excellente idée de proposer que les habitants participants puissent « habiller » en peinture ces pictogrammes blancs.

C’est ainsi qu’a put être couvert de marques joyeuses une bonne partie du linéaire de cette longue rue, tout en assurant une vocation informative quant aux usagers nouvellement prioritaires de cette chaussée : les piétons. Et pour ceux qui n’auraient toujours pas compris, notre artiste proposa également d’ouvrir l’itinéraire par un grand graffiti que vous pouvez découvrir ci-dessous, littéraire et explicite !

Photos bonus…

Allez, je poursuis la galerie de quelques « piétons décorés », juste pour le plaisir. Il faut dire que les participants de cet habillage collectif ont été particulièrement créatifs !

« On fait avec » : retour d’expérience sur un chantier participatif de plein air en milieu urbain très défavorisé (Bordeaux Les Aubiers)

Le printemps est souvent propice à la préparation d’actions de type « chantier participatif  »   , compte-tenu de l’arrivée des beaux jours. L’été dernier, nous avons ainsi eu le plaisir de mener une action de ce type avec les Compagnons Bâtisseurs à Bordeaux, dans le quartier des Aubiers. Voici donc quelques retours d’expérience que nous pouvons tirer de cette première tentative de «  cofabrication  » de mobiliers urbains  sous la houlette des sociologues de Repérage Urbain. Sachant que notre ambition – consubstantielle à notre culture de sociologues de terrain au contact des populations – était d’emmener un certain nombre d’habitant à mettre réellement la main à la pâte (… ou plutôt à la visseuse) dans cette « coconstruction » très concrète. Autrement dit : coconstruire utilement, depuis la conception jusqu’au bout des dernières vis, avec les habitants, contrairement à certains aménagements temporaires d’espaces publics observés ailleurs souvent trop complexes, principalement conçus et construits par des collectifs d’artistes-ébénistes et leurs armadas de bénévoles.

Un chantier participatif au cœur d’un quartier d’habitat très social

Le quartier d’habitat social des Aubiers fait l’objet d’un Projet de Renouvellement Urbain (PRU), et dans ce cadre, une des opérations vise à réaménager « la prairie », vaste espace vert apprécié des habitants, mais en l’état actuel, exempt de tout aménagement ou mobiliers d’agrément.

Le quartier des Aubiers à Bordeaux et sa fameuse « prairie » en premier plan

Sur cette base, nous avions proposé à la ville et la métropole de Bordeaux (chargée du PRU) de contribuer, par nos démarches participatives, non seulement à l’ajustement du projet définitif, mais également aussi à l’implication des habitants dans un processus de « pré-équipement » de cette prairie, en tenant compte des souhaits réels des riverains.

Un atelier-kermesse avait ainsi été organisé sur une journée, une semaine avant le chantier participatif. Cet atelier avait permis d’identifier des premiers souhaits d’aménagements très « pratiques » : des bancs et des tables à l’ombre. C’est pourquoi il a été choisi de concevoir en priorité ce type de mobilier.

Atelier-kermesse aux Aubiers pour le réaménagement de la prairie

Un chantier co-organisé avec les Compagnons Bâtisseurs

Nous avions, en amont de la kermesse consultative, choisi de sollicité les Compagnons Bâtisseurs pour la mise en oeuvre du chantier participatif , car cette vieille (60 ans) et respectable institution initialement spécialisée dans l’aide à l’auto-réhabilitation – notamment de logements sociaux – nous paraissait être la plus apte à nous envoyer sur le terrain des opérateurs techniques prêts à travailler au contact des populations d’un quartier défavorisée, et dans un esprit de réelle collaboration.

Le chantier participatif s’est donc tenu durant deux semaines, du 27 juin au vendredi 8 juillet, tous les matins de 8h30 à 12h30, sauf les samedis et dimanches.

Le choix de cette période fut contraint par les disponibilités des compagnons bâtisseurs, avant les vacances scolaires de l’été 2022. Cependant, ces créneaux se sont finalement avérés assez opportuns puisqu’ils nous ont permis de capter un public assez diversifié. Bien que le matin était perçu initialement par notre équipe de sociologues (Repérage Urbain) comme un possible handicap, cela n’a finalement pas été un frein à la participation active des habitants, même si celle-ci était plus dense en fin de matinée. Il est à noter que la météo s’est avérée globalement clémente, ce qui a évidement eu un impact positif sur le dispositif.

Nous avions choisi de localiser ces rendez-vous matinaux de fabrication participative de mobiliers de façon visible, sur l’espace public, à proximité du site à enjeu que représente la prairie. La localisation d’une prise électrique a facilité la démarche d’installation des menuisiers-formateurs dépéchés sur place par les Compagnons Bâtisseurs. Tandis que l’emplacement trouvé, assez central à l’échelle du quartier a facilité notre intention « d’aller vers » les habitants, pour les motiver à s’impliquer, au jour-le-jour.

Des démarches d’« aller vers » intensives pour recruter et mobiliser des habitants

Avant le lancement du chantier participatif, un tract-affiche a été réalisé par Repérage Urbain. Celui-ci a fait l’objet d’un boitage et de tractage dans les jours précédents le chantier. Quatre vagues d’envoi de SMS par les bailleurs ont aussi été réalisées.  Si ces moyens de communication « traditionnels » ont eu un impact limité, ils ont permis de recueillir quelques inscriptions et de susciter la curiosité des participants ultérieurs. La création de cet « écosystème » de communication, n’est donc pas à négliger : L’information a circulé, les habitants étaient informés. les médiateurs du quartier ont aussi été associés à la préparation de la démarche.

Mais c’est, comme nous l’avions anticipé, la sollicitation directe des habitants par Cécile ou Laëtitia, nos sociologues présentent alternativement lors de chacune des matinées du chantier, qui a joué un rôle central dans la réussite de la mobilisation. Elles sont allées, chaque matin, à la rencontre des habitants sur la voie publique et en pieds d’immeubles, les invitant à venir participer, ou à venir au moins «  jeter un œil  » . Passé une première phase de curiosité, un groupe de participants récurrents s’est formé, permettant, par effet d’agglutination d’éveiller l’intérêt d’autres participants. Cette mobilisation directe a ainsi permis, en bout de course, l’appropriation de la démarche par une trentaine d’habitants impliqués dans la fabrication des mobiliers. Le rôle de nos deux sociologues étaient aussi de veiller à offrir une place dans la fabrication à chaque nouveau venu, et à faciliter des échanges productifs et de qualité, entre habitants, comme avec les menuisiers-formateurs mobilisés par les Compagnons-bâtisseurs .

Cette démarche menée par nos sociologues de « recrutement direct » d’habitants, d’accueil et d’accompagnement du dialogue s’est avérée bien entendu très complémentaire de l’animation réalisée par les compagnons bâtisseurs, animation qui a permis par moment de mixer des groupes d’âges et de sexe varié et de permettre des échanges entre des participants qui ne seraient pas forcément fréquenté sans ce temps. Nombre de participants ont apprécié de bénéficier d’une relative autonomie dans la réalisation des travaux, tout en bénéficiant des conseils et de l’encadrement des compagnons bâtisseurs. La qualité de l’animation des compagnons permettait notamment de ne laisser personne « inoccupée », notamment les jeunes et donc d’éviter ainsi d’éventuels accidents.

Laurent des compagnons en plein travaux avec les enfants du centre d’animation

Des mobiliers simples et confortables, en bois de qualité, conçus et améliorés collectivement

Le choix de mobilier s’est porté, compte-tenu des délais, sur 6 bancs et deux tables « simples » car répondant à un besoin immédiat pour profiter de la prairie (pelouse) durant l’été. Des bois plus qualitatifs que la «  palette recyclée » ont été initialement fournis par les compagnons, de façon à favoriser la durabilité de premiers mobiliers. La réutilisation quasi-illimitée de la palette dans son domaine d’origine de la manutention (elles peuvent se réutiliser jusqu’à… 28 fois) ne plaident d’ailleurs pas pour un abus de cette ressource dans les démarches d’aménagements temporaires.

La structure des bancs a aussi été renforcée à la suite des remarques de certains participants et l’inclinaison a été modifiée à la suite de « tests » avec les habitants participants.

Test tout au long du processus de fabrication avec les habitants

Des solutions inventées au fil de l’eau, notamment pour contrer certains risques de disparition

La question de l’accroche s’est posée en début de processus, suite notamment à la disparition « mystérieuse » d’un banc fabriqué le premier jour. Au fur et à mesure du chantier, des solutions ont été proposées, discutées et mises en œuvre de concert avec les acteurs du projet et le noyau d’habitant impliqué. Il a été décidé de ne pas fixer au sol, la solution étant trop compliquée à mettre en œuvre et offrant peu de garantie contre le vol, mais de joindre des bancs et tables entre eux, de façon à créer des « modules » difficilement déplaçables ou escamotables… L’intelligence collective et la relative autonomie du groupe a donc permis de résoudre ce problème initial de risque d’« évaporation » des fabrications communes pour des usages privés non identifiés… D’autres questionnements sont restés en suspens comme la décoration des bancs, faute de temps.

Derniers ajustements : les bancs et les tables sont vissés entre eux

L’autonomie comme vecteur d’appropriation et d’ajustement de la démarche  au fil de l’eau

Très vite durant le chantier, des idées de mobiliers différents ont été proposé par des habitants et des acteurs associatifs. A cet effet, des palettes ont été récupérées et stockées à la maison du projet. Peu à peu, un « pacte » s’est lié avec les participants : finir les bancs bénéficiant au plus grand nombre, puis réaliser des mobiliers discutés de concert avec les participants ou proposés par des acteurs associatifs. Ce pacte a permis de réaliser plusieurs bancs et tables supplémentaires, positionnés dans d’autres lieux que la prairie. Des bancs en palette ont été réalisé à proximité de la pharmacie pour les personnes âgées, une table a été fabriqué par les enfants du centre d’animation pour la ferme urbaine, un banc supplémentaire a été positionné sur la prairie. D’autres mobiliers cependant n’ont cependant pas pu être réalisés dans le temps imparti, comme la boîte à idée imaginée par le groupe.

Banc construit en plus avec des palettes devant le médecin

Le fait d’avoir fixer un objectif simple (6 bancs et 2 tables), et d’avoir laissé de l’autonomie au groupe dans le choix d’autres mobiliers s’est avéré un bon levier pour permettre aux participants de s’approprier la démarche, mais aussi de faire en sorte que les habitants viennent mettre la « main à la patte ». Cette façon de faire a sans doute également jouer un rôle dans le fait que peu de mobiliers furent dégradé dans les semaines qui ont suivi leur positionnement sur la prairie.

Enfin, des participants sont venus par exemple couper une planche, demander conseil pour des travaux personnels, ils ont été bien sûr accueillis et invités à participer au chantier collectif. Cet « échange de bons procédés » a été apprécié par les participants.

Un temps convivial a été mis sur pied à la fin du chantier, lors du positionnement des mobiliers sur la prairie (pelouse). Des panneaux d’informations sur la genèse de la démarche, ses objectifs et sur le projet à venir sur la prairie ont été apposés sur les mobiliers fabriqués. Une mention évoquant l’implication des habitants du quartier a été inscrite sur les bancs et tables réalisées. Invitation a été faite aux habitants de donner leur avis à la maison du projet sur les mobiliers réalisés lors de ce chantier . Une valorisation plus importante pourrait être imaginée pour d’autres démarches de ce type, avec inauguration par les élus, interventions d’artistes. Certains habitants ont même souhaité apporter café, gâteaux, pour marquer le coup, bien qu’une petite collation fût mise sur pied dans les jours précédent la fin du chantier.

Inauguration des mobiliers autour d’un moment convivial

8 mois après, les bancs et les tables sont toujours là, et utilisés par les habitants. Un banc cassé a même été réparé, signe de l’appropriation effective de ce mobilier par les habitants du quartier.

La participation des habitants est (aussi) une histoire d’accessoire(s)

C’est bientôt Noël et nous nous apprêtons, pour beaucoup, à offrir sciemment tout un tas d’objets très « accessoires »…

Dans le domaine de la participation citoyenne en urbanisme, le terme « accessoire » pourrait, également, évoquer de prime à bord cet adjectif métaphorique qui signifie « plus ou moins inutile ». Comme lorsque l’on entend des phrases du type : « la participation du public, c’est un peu accessoire. On doit d’abord concevoir des pistes de projet bien tranchées, avant de consulter la population, sinon ça n’intéresse personne ! ». Autrement dit, le terme « accessoire » rapproché des mots « concertation » ou « participation citoyenne » pourrait faire allusion à la considération relativement limitée que certains, dans les sphères décisionnelles, semblent parfois accorder aux démarches de concertation et de débat avec les populations. Heureusement, cette posture se rencontre de moins en moins souvent… Mais là n’est pas l’objet de cet article illustré.En effet, dans un esprit de noël bien matérialiste, nous évoquerons ici uniquement la version non métaphorique de la notion d’accessoire.

Voici donc, pour changer des conseils cadeaux de fin d’année, un petit tour d’horizon en images des innombrables « accessoires » matériels que nous avons en stock et qui nous servent quasiment au quotidien, à moi et à toute l’équipe de sociologues de Repérage Urbain dans nos activités de concertation, pour stimuler, faciliter, et parfois simplement rendre possible l’expression des publics d’habitants et usagers. Vous le verrez, notre agence est, parfois, une véritable caverne d’Ali Baba !

Famille d’accessoires « concertation ambulante »

Un premier groupe d’objets, dont la quantité a tendance à croitre dans nos stocks, est constitué de diverses machines connectées au web et susceptibles d’être facilement transportées : tablettes PC, téléphones 4G, PC tactiles légers, de divers formats. Elles nous permettent d’aller vers les publics avec des outils numériques de concertation que nous concevons par ailleurs : Cartes participatives, questionnaires de toutes sortes, jeux de simulation de plan… Nous aurions pu, aussi, l’intituler famille « phygitale » , puisque ces accessoires nous permettent de faire participer des publics en face-à-face (participation « physique »), sur des outils qui sont dans la plupart des cas également ouverts à la participation en ligne (participation « digitale »).

Dans le registre de la « techno-mobilité », nos tiroirs recèlent quelques autres gadgets : kits mains-libres indispensables pour une saisie vocale rapide de ce que nous racontent les habitants ; micro et haut parleur ambulant utiles à l’organisation de visites-débats, mini-camera « Steady » adaptée pour filmer en mouvement et restituer joliment des démarches de « randonnées participatives » que nous affectionnons particulièrement.

Enfin, dans un style un peu plus rétro d’outils mobiles, nous conservons dans nos locaux une réserve d’accessoires pour enquête de terrain avec supports papiers : planches à écrire à pinces et sacs en toile, qui permettent de transporter et collecter debout moultes réponses à des questionnaires imprimés, en pleine rue comme en porte à porte. Nous les utilisons cependant de moins de moins en moins souvent, eu égard à nos usages « phygitaux » évoqués plus haut. Mais ils ne se rangent pas encore dans la catégorie des accessoires « obsolètes » (voir plus bas).

Famille d’accessoires « voyage-voyage »

Dans le registre de la « mobilité » de nos interventions, nous vous présentons ici – ci-dessus en bleue – notre célèbre « valise de la concertation » (célèbre… au sein de notre équipe uniquement, jusque là du-moins !). Elle est ici accompagnée d’autres empaquetages de voyage que nous avons dans nos placards, afin d’être toujours prêts au départ, avec tous les accessoires nécessaires, vers les très divers territoires où nous offrons nos services. La concertation territoriale peut donc, aussi, être aussi une affaire de bagages.

Pour bien voyager sans abimer des supports imprimés utiles aux débats urbanistiques (fonds de plan, cartes des territoires, affiches ou autres documents participatoires), un bon « concertateur public » se doit également d’être équipé des quelques accessoires du type de ceux ci-dessus : tubes à plan et portes documents de tous formats.

Dans le domaine des déplacements sub-régionaux, ajoutons le « vélo pliable de Benjamin » , qu’il a généreusement mis à disposition dans nos locaux collectifs. L’engin prend occasionnellement le train avec certains d’entre-nous, pour rejoindre en bout de ligne des destinations éloignées des transports en commun. Mais les véhicules individuels – y compris vélos – font chez nous plus généralement l’objet de locations, à proximité de nos destinations.

Nous pourrions d’ailleurs ajouter dans cette famille « voyage », des accessoires désormais dématérialisés – donc sans images à vous présenter ici – que chaque membre de notre équipe possède afin de modérer nos bilans carbone comme comptable : Les abonnements « SNCF Liberté » !

Famille d’accessoires « aléas climatiques« 

Quand des rendez-vous avec les populations sont inscrits à nos agendas, il n’est plus possible de reculer même si le temps s’annonce mauvais. Il n’est pas question, non plus, de renoncer à toute démarche de plein air à la rencontre des habitants, dès qu’arrivent les premiers frimats. Nous possédons ainsi une réserve d’accessoires adaptés aux différents aléas.

Les « gants tactiles » sont chez nous des tenues de fonction fournies par l’entreprise, afin de pouvoir réaliser correctement des saisies de questionnaires numériques et autres insertions sur cartes interactives, même en plein hiver. Les parapluies, sont les outils de base d’une démarche consistant à aller vers les habitants même par temps de pluie, plutôt que de rester bloqué sous-abris. Nous en achetons régulièrement par lots, et les égarons souvent, naturellement. Comme il en faut parfois suffisamment pour en prêter aux citoyens, par exemple lors de déambulations, nous en stockons désormais plus de 40 unités ! En complément, nous avons également fait l’acquisition de différentes capes de pluies, pérennes ou jetables, pour ne jamais devoir renoncer à une randonnée participative.

Un dernier accessoire « climatique », que nous ne possédons qu’en un seul exemplaire car fort difficile à transporter, reste pourtant indispensable : Le « barnum » ou « tonnelle » ou « abri dépliable » selon divers jargons. Mais les collectivités pour lesquelles nous intervenons en disposent heureusement de façon quasi-systématique et nous les mettent souvent à disposition. Quand ils sont joliment colorés – comme dans le cas du barnum strasbourgeois ci-dessus -, ils contribuent également avec force au volet « mobilisation et visibilité » que j’illustre plus bas.

Famille d’accessoires « Outils d’expression »

Dans nombre de situations, les indispensables stylos sont les premiers outils d’expression à mettre à disposition du public sans rechigner. Il est absolument nécessaire d’en apporter en grande quantité pour une participation « de masse », en salle notamment. C’est à dire lors d’une rencontre publique où, à l’inverse de la « réunion publique à l’ancienne », l’on invite habitants, élus ou acteurs à se répartir autour de grandes tablées et à se saisir de différents moyens pour que tout un chacun puisse s’exprimer, notamment par écrit.

Nous consommons ainsi les stylos en grande quantité, en raison de leur disparition fréquente lors de ce genre de rendez-vous. Si bien que nous avons fini par en commander quelques grosses quantités, estampillés au nom de notre agence (à la jolie couleur bleue ci-dessus). Ainsi , à défaut de les récupérer intégralement en fin de réunions, nous pourrons nous réjouir d’avoir laissé un bon souvenir dans les poches de nos participants.

En compléments des stylos, nous avons toujours d’avance nombre d’autres accessoires de papeteries, qui peuvent paraître anodins mais qui recèlent un fort pouvoir de canalisation de l’expression : feutres noirs et colorés en nombre, post-it de toutes couleurs et tous formats – dont le fameux format « post-it bulle » quasi introuvable renvoyant au design de notre outil numérique Debatomap -, gommettes rouges, vertes et diverses, étiquettes autocollantes personnalisables… En fonction des méthodologies de débats plus ou moins sophistiquées que nous déployons, tous ces modestes gadgets permettent, avec un peu de méthode, d’impulser l’expression des habitants, de faire s’exprimer des préférences, d’accumuler et de classer des idées ou avis, de localiser des souhaits ou encore de faire tracer des envies.

Famille d’accessoires « Mobilisation et visibilité »

Pour mobiliser des habitants, il vous faut de toute évidence avoir, dans vos bureaux, a minima ces trois types d’outils de petite imprimerie : Plastifieuses A3 et A4, imprimante A3 couleur laser pour imprimer vite et grand, massicot pour démultiplier les petits formats. Il devient ainsi plus facile de créer des tracts, des affiches annonçant un rendez-vous de concertation, des QR codes pour inciter à participer en ligne, des images d’exemples d’aménagements à soumettre aux appréciations, bref des supports de mobilisation et d’expression divers, parfois plastifiés pour être réutilisables sur une journée ou plus.

En revanche nous avons recours aux services de partenaires pour les plus grands formats (A1, A0), pour de très grandes quantités (boitages), ou pour les formats très cartonnés (tels que les « cartes postales de souhaits » en photos ci-dessus). Nous profitons le plus souvent des très grandes imprimantes de nos excellents voisins de Fadora copie , mais aussi des « traceurs » (imprimantes très grand format) de nos clients collectivités ou de nos partenaires architectes.

Dans un but simple et pur d’attirer l’attention des passants, lorsque nous installons des stands de concertation, nous avons souvent recours, en plus des affichages classiques (caliquots, barnum…), à des accessoires secondaires de visibilité tels que ceux ci-dessus : fanions, caliquots, ballons gonflés à l’hélium…

… Et pour attirer l’attention des chalands, notamment des familles, il est aussi de bon ton de prévoir bonbons, cafés, boissons, biscuits, et pourquoi pas un peu de décoration en rapport avec la saison.

Pour installer des stands ou divers « ateliers debout » d’expression, les autres accessoires en vrac ci-dessus sont également d’une fréquente utilité, et il vaut mieux en avoir toujours dans les tiroirs : Ciseaux, ficelles, élastiques, rouleaux de scotch de tous types… et les très précieuses pinces à linges, qui nous ont souvent permis d’inventer des étapes d’expression prenant des allures d’expositions (plus ou moins) improvisées.

En matière de visibilité, enfin, nos sociologues se font généralement identifier, et font incidemment reconnaître leur posture de « tiers modérateur » grâce à de simples badges tels qu’on en voit dans les salons, identifiant nos noms et la nature de nos interventions (sociologie – concertation).

Famille d’accessoires « Jouer pour participer »

Au rayon des accessoires que nous sommes fiers d’avoir, abordons les quelques jeux et jouets dont l’utilité dépend des circonstances du projet qu’il s’agit de soumettre à la réflexion des habitants. Les cubes lego, dont nous disposons d’une certaine quantité, permettent d’aborder des questions de densité, de volumes bâtis, et pas seulement avec des enfants, puisqu’ils offrent un rapport de proportion presque parfait pour simuler des étages et des mètres carrés.

Nous avons également accumulé une panoplie de fausses monnaies et petites calculatrices de caissiers, qui permettent d’injecter quelques exercices de sensibilisation aux budgets de projets, dans le cadre d’aménagements à programmer collectivement.

Enfin nous avons acheté divers cadres et chevalets qui, en les complétant de feutres permettant de dessiner sur les vitrages protégeant des photos de quartier, nous permettent d’ajouter une autre dimension ludique à certaines démarches de participation.

Famille d’accessoires « grandeur nature »

Une famille d’accessoires assez nouvelle et en cours d’expansion chez nous, est constituée de plots colorés, de fanions-drapeaux, de bombes à peintures sur herbes. Il s’agit de divers outils qui nous permettent, à certains stades d’avancement des réflexions, de matérialiser sur un terrain quelconque des dimensions réelles de possibles aménagements, avec des riverains ou habitants. Dans ce registre de « préfiguration » d’aménagements futurs, d’autres accessoires de bricolage tels que perceuses, visseuses, télémètres (pour mesurer des grandes dimensions) sont également déjà en notre possession, prêts à collaborer avec des partenaires de chantiers participatifs tels que les compagnons bâtisseurs.

Famille d’accessoires « obsolètes »…

Achevons ce tour d’horizon par quelques accessoires en trés grande partie obsolètes, et qui trainent encore sur nos étagères : dictaphones et appareils photos, tampon modifiable et relieuse. Avouons-le, ces objets que nous n’osons pas jeter ont été rendus obsolètes par l’intégration des mêmes fonctionnalités dans nos téléphones mobiles pour les uns, par la généralisation des documents dématérialisés pour les autres. Promis au recyclage, un de ces jours, nous les utilisons encore à de rares occasions (surtout l’appareil photo à vrai dire).

J’aurais pu terminer cet article illustré par une famille d’accessoires « On ne les a pas encore » (Le vélo cargo de concertation ? Les tables pliantes faciles à porter ?), ou une famille d’accessoires « finalement ça ne nous a jamais servi », tels que les « fats boys » (canapés plus ou moins gonflables achetés par un de mes associés), ou les pailles jetables en papier (achetées par moi-même un jour, séduit par l’objet sans trop savoir à quoi elles serviraient ; moralité : jusqu’ici à rien…).

Mais je n’épiloguerai pas plus longuement sur tous ces accessoires de concertation, qui ont de toute façon vocation à être perpétuellement renouvelés, réinventés, complétés, et souvent créés. Je vous livrerai en conclusion cette simple réflexion : pour bien réussir votre concertation, pensez bien à tous les petits détails qui conditionneront et faciliteront les possibilités d’expression. Ou du moins, essayez !

Contre les « panels d’habitants », ou 8 bonnes raisons de ne pas se contenter d’un micro-échantillon pour consulter les populations sur un projet urbain

Concertation sur le réaménagement du Centre-Ville du Pré-Saint-Gervais (Repérage Urbain, 2021-2022) : Un exemple parmi tant d’autres de démarche participative cumulant différents évènements et méthodologies, pour permettre à plusieurs centaines de personnes de contribuer personnellement à la conception collective d’un projet urbain…

Il y a ces derniers temps une tendance que notre agence rencontre de plus en plus souvent, du côté des villes et collectivités souhaitant concerter sur tel ou tel projet avec ses habitants : la « tentation du petit panel ». C’est à dire la tentation de mobiliser un « groupe réduit de citoyens », souvent très réduit (5 ou 10 personnes à l’échelle d’un quartier, 10 ou 15 ou 20 personnes à l’échelle d’une ville ou d’une agglomération) plutôt que d’ouvrir le débat largement et à toute la population de façon volontariste.

Il y a pourtant plusieurs types de raisons de dissuader les pouvoirs locaux d’avoir recours à des « panels citoyens » réduits et fermés pour tenter de résoudre des dilemmes d’aménagement. Voici 8 raisons cumulatives pour lesquelles, selon moi, s’en remettre à un groupe de 10 ou 15 habitants pour chercher des compromis ou valider des choix d’aménagements est tout simplement une mauvaise idée :

1. Mathématico-statistique : un tel panel est bien trop réduit pour être représentatif de la variété des profils et postures d’une population variée. Notez bien que cela reste valable sur le plan statistique quelle que soit la taille de la population globale concernée par le projet (quartier, ville, agglomération… sauf quartier limité à une poignée de logements). La pratique et la statistique plaideraient donc pour un échantillon minimal d’au moins 100 personnes dans ce type de projet et de territoire… Taille de panel qu’il est naturellement impossible à mobiliser de façon répétée. Ce qui démontre d’ailleurs en retour qu’un panel de petite taille a toutes les chances d’être biaisé dans sa composition, puisqu’il tendra à filtrer des personnalités nettement plus mobilisables ou motivées que la moyenne des populations qu’il est censé représenter (voir aussi point 7 plus bas).

2. Stratégique (au sens de l’intérêt politique de la collectivité) : La mobilisation d’un « panel » n’est pratiquement jamais reconnue par une population élargie comme étant une démarche valable de démocratie participative, de concertation ou d’écoute. Nos retours d’expériences sont innombrables là-dessus (avec des « conseils citoyens » des « conseils de quartiers » et autres « panels citoyens » réduits, très souvent délégitimés par le reste de la population). Par conséquent, pour obtenir l’adhésion d’une large population, il vaut mieux lui laisser le « droit à la parole » de la façon la plus ouverte et la plus large possible, tout au long du  processus.

3. Juridique : Un panel de « 10-15 personnes », s’il était au centre des principales démarches de concertation mises en œuvre, ne saurait en aucun cas répondre aux obligations légales, notamment en réponse aux exigences soulignées dans l’article L103-2 du code de l’urbanisme, puisque cet article souligne la nécessité d’associer « les habitants, les associations concernées et les autres personnes concernées pendant toute la durée du projet ».

4. Méthodologique : La « tentation du panel » répond vraisemblablement, dans la plupart des cas, à une idée (erronée d’après mon raisonnement) selon laquelle, en travaillant en petit groupe avec différents profils d’habitants/usagers on va pouvoir, plus facilement et dans un dialogue apaisé, dégager les « bons compromis » ou valider des « options consensuelles » qui conviendront ensuite au plus grand nombre. C’est faux. Notamment pour la raison 1 : Le panel est par constitution forcément biaisé ; mais aussi pour la raison 2 : le choix validé par un micro-panel a toutes les chances d’être contesté par des groupes de populations ne se sentant pas représentées du tout par celui-ci ; et encore 3 : la légitimité de l’écoute disproportionnée accordée à un tel micro-panel étant plus que contestable, les recours juridiques peuvent tenter n’importe quels types d’insatisfaits ensuite.

5. Démocratique en lien avec le « droit à la parole » : Par suite du point ci-dessus, on devrait également prendre conscience que toute tentative de restreindre l’écoute à un groupe « fermé » d’habitants constitue, par extension, une restriction du droit à l’expression du reste de la population. Par conséquent, la focalisation sur un panel délimité, indépendamment des questions de représentativité, est une négation du « droit à la parole » de l’ensemble des citoyens sur un projet qui les concerne. Droit à la parole, pour tous, qui me parait pourtant la base de toute notion de « démocratie participative » et de « concertation publique » (y compris telle qu’inscrite dans le droit de l’urbanisme, voir point 3).

6. Démocratique (bis) avec un « effet doublon » : L’idée d’un « panel représentatif », bien délimité, appelé à s’exprimer aux différentes étapes de l’élaboration d’un projet, ça ne vous rappelle rien ? Hé oui, ça peut rappeler, au choix : les conseils de quartier (obligatoires dans les communes de plus de 50 000 habitants), le conseil citoyen (obligatoire autour des projets financés par l’ANRU et dans les quartiers défavorisés dit « politiques de la ville »), le conseil d’arrondissement ou… le conseil municipal ! Bref, un « panel limité de citoyens mobilisés sur la durée » (formulation que j’ai pu lire quasi telle quelle dans des dossiers d’appel d’offres pour des démarches de concertation), est finalement une sorte de calque du modèle « représentatif » de la démocratie. L’idée semble répondre à l’espoir, pour certains élus ou techniciens de collectivités, de retrouver un modèle de débat qu’ils connaissent bien et comprennent mieux, plutôt que de soumettre un projet à un débat avec les masses, processus parfois vu comme hasardeux voire effrayant. Bref, le « panel limité de citoyens » fait généralement doublon avec des instances représentatives existantes, et c’est tout sauf de la « concertation publique ».

7. Méthodologique (bis) avec un « biais de mécontentement » : Un « panel d’habitants » risque tout d’abord de reproduire les mêmes difficultés de motivations que les instances bénévoles évoquées ci-dessus : Il est très difficile de mobiliser des personnes sélectionnées au hasard, de façon prolongée. Certaines instances s’avèrent même tout à fait impossibles à maintenir en fonctionnement, par défection progressive des participants, comme l’ont montré notamment les nombreuses déconvenues rencontrées par les conseils citoyens (voir point précédent). Par ailleurs, si un panel se maintient dans la durée, sur une base purement bénévole, il y a de forts risques que les seules catégories d’individus qui acceptent d’y participer soient motivées avant tout par une certaine hostilité ou opposition : hostilité vis-à-vis d’un projet dans une optique « pas près de chez moi » (ou NIMBY) ; ou esprit d’opposition à une municipalité en place. Ainsi, la composition d’un panel bénévole a de fortes chancesde subir subrepticement ce que j’appellerais le « biais de mécontentement » … c’est à dire que seuls des individus potentiellement dérangés par une hypothèse d’aménagement urbain finissent par accepter, en bout de course, de s’engager dans un processus de participation répétée. Quand bien même ils représenteraient des tranches d’âges et des profils socio-professionnels variés.

8. Economique : Enfin, n’oublions pas que ces concepts de « groupes réduits de citoyens » sont manifestement inspirés de méthodes d’études marketing. On pense notamment à la technique des focus group, qui réunit un petit groupe de consommateurs autour de nouveaux produits ou de nouvelles campagnes publicitaires, afin d’étudier leurs réactions collectives. Il faut donc avoir conscience que ces méthodes sont, à la base, essentiellement conçues pour vous faire avaler des yaourts… Et pas pour vous permettre de donner votre avis ou participer à l’élaboration d’un projet d’intérêt collectif.

Quelques conclusions …

En conséquence de ces différentes réflexions, selon moi, toutes méthodes de consultation massive et large de la population, à l’opposé de la dimension frileuse du « micro-panel », donneront vraisemblablement des éléments d’aide à la décision et des pistes de compromis nettement plus acceptables par la masse des citoyens ensuite, même si elles restent moins détaillées qu’un projet « co-conçu » avec précision avec 10 personnes. Des pistes de décision issues d’un minuscule échantillon de population, quand bien même ce dernier aurait travaillé de façon très approfondie et répétée pour exprimer une position commune, ne peuvent en aucun cas garantir ni la représentativité, ni l’acceptabilité par la population dans son ensemble.

Pour peu que l’on sache et que l’on se donne la peine de traiter avec sérieux et rigueur une masse d’avis et d’opinions que l’on collecte (avec des traitements à la fois qualitatifs et quantitatifs, des analyses sémantiques, thématiques, etc.), ET pour peu que l’on communique clairement à la masse les conclusions de cette consultation de masse, cela peut permettre, le plus souvent d’assoir plus confortablement la légitimité de choix d’aménagements pris au regard de ces données. C’est en tout cas, pour notre part, ce que nos retours d’expériences prouvent assez largement, avec de nombreux retours favorables des populations, quand nous les impliquons dans nos consultations et démarches participatives massives, restant ouvertes à tous quoi qu’il en coûte… Il ne me parait donc y avoir aucune raison sérieuse de « fermer » des débats au sein d’un groupe réduit d’individus, pour des projets concernant tout un chacun dans son cadre de vie de proximité, dans sa vie quotidienne, voire dans ses intérêts immobiliers directs (cas des « riverains » d’un projet, dont aucun ne peut être exclu des discussions par avance, sans pour autant qu’ils ne soient les seuls à être légitimes en fonction de l’enjeu).

… Et une comparaison

En revanche, je ne prolongerai pas outre mesure cette réflexion à une autre échelle, et sur d’autres matières que celle des projets urbains. L’exemple de la « convention citoyenne pour le climat », avec un « panel » de citoyens nettement plus important que ceux que j’évoque ici, a sans doute apporté, à la fois, de l’eau à mon moulin « sceptique » quant aux panels restreints de citoyens, et des arguments aux partisans des « jurys citoyens » à tout va.

Parmi les défauts de la démarche, la taille d’échantillon était nettement insuffisante à mon sens, eu égard à la diversité des populations à l’échelle nationale, et je soutenais plutôt, à l’époque du « Grand débat national », des « forums citoyens » qui auraient regroupé au moins 1500 personnes nationalement, et représenté de façon équitable les différentes régions, départements et types de territoire concernés par les problématiques environnementales, ces dernières étant très souvent imbriquées dans des questions territoriales. Au minimum, on peut se demander pourquoi cette convention citoyenne n’a réuni que 150 personnes, alors que l’Assemblée Nationale, par exemple, compte déjà presque quatre fois plus de membres pour « représenter » le même territoire. Par ailleurs, il y a vraisemblablement eu quelques « filtres » ou « biais » involontaires dans le processus de recrutement. Cela fait que, au delà du nombre de participants, on peut douter de la parfaite représentativité des participants, notamment en termes d’opinions politiques. Cependant ici les participants étaient « défrayés », c’est à dire en réalité rémunérés. Ce qui permet en partie de répondre à l’écueil n°7 évoqué plus haut, celui de la motivation à participer.

Côté points positifs de la démarche, elle a pu démontrer qu’il était possible de produire une forme d’intelligence collective avec un nombre de personne déjà relativement élevé. Elle a aussi montré, contrairement à ce que croient nombre de militants insuffisamment attentifs, qu’une telle démarche collective pouvait inspirer de façon constructive un grand nombre d’évolutions législatives. Certes les suggestions de la convention n’ont pas été appliquées « sans filtre » , comme l’avait dans un premier temps annoncé E. Macron. Mais cet objectif affiché initialement était sans doute déraisonnable, et certainement moins démocratique qu’un processus itératif remontant par étape d’une démarche « participative » vers un processus législatif plus classique, laissant la main pour finir à l’Assemblée Nationale.

Quoi qu’il en soit, une telle convention n’est donc pas de la même dimension ni de la même nature que les minuscules « panels d’habitants » locaux que j’évoque plus haut.