Le printemps est souvent propice à la préparation d’actions de type « chantier participatif » , compte-tenu de l’arrivée des beaux jours. L’été dernier, nous avons ainsi eu le plaisir de mener une action de ce type avec les Compagnons Bâtisseurs à Bordeaux, dans le quartier des Aubiers. Voici donc quelques retours d’expérience que nous pouvons tirer de cette première tentative de « cofabrication » de mobiliers urbains sous la houlette des sociologues de Repérage Urbain. Sachant que notre ambition – consubstantielle à notre culture de sociologues de terrain au contact des populations – était d’emmener un certain nombre d’habitant à mettre réellement la main à la pâte (… ou plutôt à la visseuse) dans cette « coconstruction » très concrète. Autrement dit : coconstruire utilement, depuis la conception jusqu’au bout des dernières vis, avec les habitants, contrairement à certains aménagements temporaires d’espaces publics observés ailleurs souvent trop complexes, principalement conçus et construits par des collectifs d’artistes-ébénistes et leurs armadas de bénévoles.
Un chantier participatif au cœur d’un quartier d’habitat très social
Le quartier d’habitat social des Aubiers fait l’objet d’un Projet de Renouvellement Urbain (PRU), et dans ce cadre, une des opérations vise à réaménager « la prairie », vaste espace vert apprécié des habitants, mais en l’état actuel, exempt de tout aménagement ou mobiliers d’agrément.
Sur cette base, nous avions proposé à la ville et la métropole de Bordeaux (chargée du PRU) de contribuer, par nos démarches participatives, non seulement à l’ajustement du projet définitif, mais également aussi à l’implication des habitants dans un processus de « pré-équipement » de cette prairie, en tenant compte des souhaits réels des riverains.
Un atelier-kermesse avait ainsi été organisé sur une journée, une semaine avant le chantier participatif. Cet atelier avait permis d’identifier des premiers souhaits d’aménagements très « pratiques » : des bancs et des tables à l’ombre. C’est pourquoi il a été choisi de concevoir en priorité ce type de mobilier.
Un chantier co-organisé avec les Compagnons Bâtisseurs
Nous avions, en amont de la kermesse consultative, choisi de sollicité les Compagnons Bâtisseurs pour la mise en oeuvre du chantier participatif , car cette vieille (60 ans) et respectable institution initialement spécialisée dans l’aide à l’auto-réhabilitation – notamment de logements sociaux – nous paraissait être la plus apte à nous envoyer sur le terrain des opérateurs techniques prêts à travailler au contact des populations d’un quartier défavorisée, et dans un esprit de réelle collaboration.
Le chantier participatif s’est donc tenu durant deux semaines, du 27 juin au vendredi 8 juillet, tous les matins de 8h30 à 12h30, sauf les samedis et dimanches.
Le choix de cette période fut contraint par les disponibilités des compagnons bâtisseurs, avant les vacances scolaires de l’été 2022. Cependant, ces créneaux se sont finalement avérés assez opportuns puisqu’ils nous ont permis de capter un public assez diversifié. Bien que le matin était perçu initialement par notre équipe de sociologues (Repérage Urbain) comme un possible handicap, cela n’a finalement pas été un frein à la participation active des habitants, même si celle-ci était plus dense en fin de matinée. Il est à noter que la météo s’est avérée globalement clémente, ce qui a évidement eu un impact positif sur le dispositif.
Nous avions choisi de localiser ces rendez-vous matinaux de fabrication participative de mobiliers de façon visible, sur l’espace public, à proximité du site à enjeu que représente la prairie. La localisation d’une prise électrique a facilité la démarche d’installation des menuisiers-formateurs dépéchés sur place par les Compagnons Bâtisseurs. Tandis que l’emplacement trouvé, assez central à l’échelle du quartier a facilité notre intention « d’aller vers » les habitants, pour les motiver à s’impliquer, au jour-le-jour.
Des démarches d’« aller vers » intensives pour recruter et mobiliser des habitants
Avant le lancement du chantier participatif, un tract-affiche a été réalisé par Repérage Urbain. Celui-ci a fait l’objet d’un boitage et de tractage dans les jours précédents le chantier. Quatre vagues d’envoi de SMS par les bailleurs ont aussi été réalisées. Si ces moyens de communication « traditionnels » ont eu un impact limité, ils ont permis de recueillir quelques inscriptions et de susciter la curiosité des participants ultérieurs. La création de cet « écosystème » de communication, n’est donc pas à négliger : L’information a circulé, les habitants étaient informés. les médiateurs du quartier ont aussi été associés à la préparation de la démarche.
Mais c’est, comme nous l’avions anticipé, la sollicitation directe des habitants par Cécile ou Laëtitia, nos sociologues présentent alternativement lors de chacune des matinées du chantier, qui a joué un rôle central dans la réussite de la mobilisation. Elles sont allées, chaque matin, à la rencontre des habitants sur la voie publique et en pieds d’immeubles, les invitant à venir participer, ou à venir au moins « jeter un œil » . Passé une première phase de curiosité, un groupe de participants récurrents s’est formé, permettant, par effet d’agglutination d’éveiller l’intérêt d’autres participants. Cette mobilisation directe a ainsi permis, en bout de course, l’appropriation de la démarche par une trentaine d’habitants impliqués dans la fabrication des mobiliers. Le rôle de nos deux sociologues étaient aussi de veiller à offrir une place dans la fabrication à chaque nouveau venu, et à faciliter des échanges productifs et de qualité, entre habitants, comme avec les menuisiers-formateurs mobilisés par les Compagnons-bâtisseurs .
Cette démarche menée par nos sociologues de « recrutement direct » d’habitants, d’accueil et d’accompagnement du dialogue s’est avérée bien entendu très complémentaire de l’animation réalisée par les compagnons bâtisseurs, animation qui a permis par moment de mixer des groupes d’âges et de sexe varié et de permettre des échanges entre des participants qui ne seraient pas forcément fréquenté sans ce temps. Nombre de participants ont apprécié de bénéficier d’une relative autonomie dans la réalisation des travaux, tout en bénéficiant des conseils et de l’encadrement des compagnons bâtisseurs. La qualité de l’animation des compagnons permettait notamment de ne laisser personne « inoccupée », notamment les jeunes et donc d’éviter ainsi d’éventuels accidents.
Des mobiliers simples et confortables, en bois de qualité, conçus et améliorés collectivement
Le choix de mobilier s’est porté, compte-tenu des délais, sur 6 bancs et deux tables « simples » car répondant à un besoin immédiat pour profiter de la prairie (pelouse) durant l’été. Des bois plus qualitatifs que la « palette recyclée » ont été initialement fournis par les compagnons, de façon à favoriser la durabilité de premiers mobiliers. La réutilisation quasi-illimitée de la palette dans son domaine d’origine de la manutention (elles peuvent se réutiliser jusqu’à… 28 fois) ne plaident d’ailleurs pas pour un abus de cette ressource dans les démarches d’aménagements temporaires.
La structure des bancs a aussi été renforcée à la suite des remarques de certains participants et l’inclinaison a été modifiée à la suite de « tests » avec les habitants participants.
Des solutions inventées au fil de l’eau, notamment pour contrer certains risques de disparition…
La question de l’accroche s’est posée en début de processus, suite notamment à la disparition « mystérieuse » d’un banc fabriqué le premier jour. Au fur et à mesure du chantier, des solutions ont été proposées, discutées et mises en œuvre de concert avec les acteurs du projet et le noyau d’habitant impliqué. Il a été décidé de ne pas fixer au sol, la solution étant trop compliquée à mettre en œuvre et offrant peu de garantie contre le vol, mais de joindre des bancs et tables entre eux, de façon à créer des « modules » difficilement déplaçables ou escamotables… L’intelligence collective et la relative autonomie du groupe a donc permis de résoudre ce problème initial de risque d’« évaporation » des fabrications communes pour des usages privés non identifiés… D’autres questionnements sont restés en suspens comme la décoration des bancs, faute de temps.
L’autonomie comme vecteur d’appropriation et d’ajustement de la démarche au fil de l’eau
Très vite durant le chantier, des idées de mobiliers différents ont été proposé par des habitants et des acteurs associatifs. A cet effet, des palettes ont été récupérées et stockées à la maison du projet. Peu à peu, un « pacte » s’est lié avec les participants : finir les bancs bénéficiant au plus grand nombre, puis réaliser des mobiliers discutés de concert avec les participants ou proposés par des acteurs associatifs. Ce pacte a permis de réaliser plusieurs bancs et tables supplémentaires, positionnés dans d’autres lieux que la prairie. Des bancs en palette ont été réalisé à proximité de la pharmacie pour les personnes âgées, une table a été fabriqué par les enfants du centre d’animation pour la ferme urbaine, un banc supplémentaire a été positionné sur la prairie. D’autres mobiliers cependant n’ont cependant pas pu être réalisés dans le temps imparti, comme la boîte à idée imaginée par le groupe.
Le fait d’avoir fixer un objectif simple (6 bancs et 2 tables), et d’avoir laissé de l’autonomie au groupe dans le choix d’autres mobiliers s’est avéré un bon levier pour permettre aux participants de s’approprier la démarche, mais aussi de faire en sorte que les habitants viennent mettre la « main à la patte ». Cette façon de faire a sans doute également jouer un rôle dans le fait que peu de mobiliers furent dégradé dans les semaines qui ont suivi leur positionnement sur la prairie.
Enfin, des participants sont venus par exemple couper une planche, demander conseil pour des travaux personnels, ils ont été bien sûr accueillis et invités à participer au chantier collectif. Cet « échange de bons procédés » a été apprécié par les participants.
Un temps convivial a été mis sur pied à la fin du chantier, lors du positionnement des mobiliers sur la prairie (pelouse). Des panneaux d’informations sur la genèse de la démarche, ses objectifs et sur le projet à venir sur la prairie ont été apposés sur les mobiliers fabriqués. Une mention évoquant l’implication des habitants du quartier a été inscrite sur les bancs et tables réalisées. Invitation a été faite aux habitants de donner leur avis à la maison du projet sur les mobiliers réalisés lors de ce chantier . Une valorisation plus importante pourrait être imaginée pour d’autres démarches de ce type, avec inauguration par les élus, interventions d’artistes. Certains habitants ont même souhaité apporter café, gâteaux, pour marquer le coup, bien qu’une petite collation fût mise sur pied dans les jours précédent la fin du chantier.
8 mois après, les bancs et les tables sont toujours là, et utilisés par les habitants. Un banc cassé a même été réparé, signe de l’appropriation effective de ce mobilier par les habitants du quartier.